FucknFilthy s’entretient avec Kevin Heldman

FucknFilthy s’entretient avec Kevin Heldman

« Cet article n’a pas pour objet le graffiti. Si vous souhaitez lire l’article le plus abouti en matière de journalisme concernant la pratique du flop (et je ne parle pas d’esquisse du personnage qu’était Karen Carpenter), allez faire un tour à la bibliothèque de votre quartier et mettez vous en quête de l’article du magazine Rolling Stone daté du 9 février 1995 sur microfilm qui a pour titre « Mean Streaks » (en français, « grains de méchanceté »). A l’intérieur de ce dernier, Kevin Heldman, un authentique journaliste suit plusieurs peintres utilisant de la peinture en spray dans New-York (dans les tunnels du métro, le souffle coupé, lorsque les « petits trains » passent à leurs côtés (barrel train en anglais) ; escaladant le Manhattan Bridge pour les observer tenus par les genoux pour bomber ou tagguer la structure de mammouth), il dresse également tout le contexte historique et sociologique du graffiti urbain ».

 

Voici la façon dont Vice a dépeint l’article de Kevin Heldman sur JA, sans doute l’un des articles les plus connus sur le graffiti jamais écrit.

Kevin Heldman a écrit et été publié dans le magazine Rolling Stone, le New York Times, Esquire et bien d’autres publications.

Il est surtout connu pour le fantastique article (celui dont Vice parle ci-dessus) qu’il a écrit pour le magazine Rolling Stone et qui a reçu d’exceptionnels éloges au niveau international. Cet article porte sur le plus actif, reconnu et tristement célèbre des « graffiti writer » qui ait jamais vécu : JA.

Si vous ne connaissez pas JA ou le graffiti new-yorkais, il serait préférable que vous lisiez l’article que K. Heldman a écrit pour situer un peu le contexte avant de lire l’interview. Il est lisible ici. Aux autres, nous vous souhaitons bonne lecture.

 

1) Premièrement, Kevin, qu’est-ce que ça fait de rencontrer quelqu’un d’aussi réputé que JA ?

 

Lorsque j’ai rencontré JA, au départ, je ne savais pas ou je ne me suis pas rendu compte qu’il était si connu ou tristement célèbre. Je ne connaissais pas grand-chose à la scène graffiti. Je n’avais jamais été un writer. J’avais entendu parler de SANE et SMITH et du mystère, des légendes, de la mort de SANE et de l’estime dont ils jouissaient dans leurs communautés.

Au début, j’avais donc ça à l’esprit. J’ai trouvé le moyen de toucher un mot à SMITH et il a finalement décidé de passer chez moi dans le Queens pour voir qui j’étais, d’où je venais, on a discuté un moment et on s’est bien entendu. SMITH m’a mis en contact avec un type prénommé JA, qui est désormais le saint patron du flop sur les cinq continents…

Vous n’avez pas idée du nombre de fois que j’ai entendu des gens dire avec incrédulité « tu connais JA ? » et qui étaient choqués qu’il me laisse traîner avec lui en tant que reporter. KET était aussi mêlé à cet article, on a fait des trucs avec GHOST à Long Island –si j’me souviens bien- qui ne sont même pas dans l’article, par manque de place. KET est un type éminemment bon et réglo.

C’est vraiment ironique, ces dernières semaines justement, j’ai passé beaucoup de temps sur les forums de graff à lire des sujets de discussion longs de 5 heures sur JA, les personnes présentes sur le forum se plaignant « tu touches encore au portrait de JA !» et « il n’y pas déjà suffisamment de sujets sur le type ? », et puis les gens se calment et d’autres rentrent dans la ronde et postent des photos et puis ils sont tous d’accord pour dire, « bordel, c’est JA, oubliez tout ce que alliez dire sur JA »… Et puis ils s’inclinent en forme de respect. Les foutaises sur son père reviennent souvent -ce que j’estime ridicule- ne pas laisser un homme être ce qu’il est du fait des membres de sa famille, ou de la condition dont il provient.

C’est vraiment une forme de discrimination à bien des égards -qu’on le juge sur ses actions et la manière dont il se comporte, pas sur les choses sur lesquelles il n’a pas d’emprise.

Donc sur la reconnaissance, après toutes ces années, le niveau fou de fame qu’il a atteint et l’estime qui lui est portée m’ont frappé. Il y a des gens qui le considèrent presque comme un être mythique, l’incarnation du graffiti, comme le Graffiti, peut-être qu’il l’est… En tout cas, inarrêtable, il n’a peur de rien, imperméable aux problèmes de la vie s’il continue à floper sans cesse, et il s’est emparé de la couronne de king de la ville.

Il a construit sa légende mais les gens aussi ont participé à la création de sa légende. S’il s’interrompt, craque, s’il recule d’un pas ou de vingt, s’il se fait cogner, si les gens le voient comme une balance, si quelque chose se passe mal, il est humain, les gens ne sont pas des machines sans défauts. Si quelque chose lui arrive, il y aura des centaines de milliers de gamins de 13 ans tout autour du monde qui seront déconfits.

JA pourrait le dire lui même et je pense qu’il l’a dit lorsqu’on a passé du temps ensemble qu’il faisait ça pour lui, qu’il vivait sa vie pour la vie elle-même. Mais j’imagine, qu’il doit le ressentir, ce fardeau, devoir être constamment à la hauteur d’un Batman urbain. Etre à la hauteur d’une légende, de son passé. Je ne veux pas m’exprimer à sa place, mais il tient compte de la communauté graffiti, ce monde, c’est sa vie et ça doit être dur de toujours être celui qui dégaine le plus vite. Il y aura toujours quelqu’un pour mettre un point d’honneur à faire tomber un king.

 

 

2) Quelque chose de particulier qui s’est produit et qui t’est resté ?

 

La plupart du temps, lorsqu’on est catapulté dans un milieu, y’a toujours un groupe de gens qui sont contre toi, t’es un étranger. Et tu es vulnérable, il fallait que j’accède à JA et son univers sinon je n’aurais rien eu à écrire.

La plupart des gens en joue et te cherche parce qu’ils savent qu’ils peuvent et aussi parce qu’harceler d’autres gens en fait kiffer certains.

JA jamais, il m’a traité avec respect, SMITH pareil, avec un respect sobre, sans jouer de jeu, ni de triche avec le reporter pour le plaisir (bien que j’ai lu sur un Myspace il y a quelques années JD qui charriait en disant « ouais, on l’a traîné dans les tunnels et sur des ponts foireux la nuit ; avec son petit tatouage REBEL, il voulait se la jouer cool mais on savait qu’il se chiait dessus »).

Bien des types m’auraient chambrés salement mais eux ne l’ont pas fait. Par contre, le photographe a pris lourd une nuit lors d’un shooting quand il s’est montré arrogant.

 

3) Qu’est-ce que tu penses du graffiti personnellement ?

 

Je préfére devoir vivre sur un bloc avec des tags qu’à Scarsdale. J’ai un petit faible pour ce qui est crasseux, sans concession, brut. Ca n’aurait pas marché si quelqu’un m’avait confié un article sur les muralistes, ceux qui font des Hall of Fame, ceux qui font des pièces léchées. Je ne sais pas dessiner, mon écriture est à peine lisible. Malheureusement, je n’ai pas une sensibilité aigue à l’art. Avec JA, les limites étaient presque accessoires. Il s’agissait de conquête, de triomphe de la peur, de quartiers chelou à 4h du mat’, de pousser un conducteur sous Dust à appuyer sur le champignon, d’aller de plus en plus vite sur la FDR pendant que JA est assis à l’arrière (il m’a mis à l’avant, merci J) et on est sûr de se planter, et si ce n’est pas cette fois, les 500 suivantes. Et puis, non, ca n’arrive pas, ça ne se produit pas. Je ne sais pas comment c’est possible. D’arriver à grimper à des hauteurs et des endroits impossibles. D’être à la hauteur des attentes placées en toi. Personne ne peut tagguer dans toute l’Amérique pendant 25 ans et être aussi à Amsterdam et tagguer un camion dans l’Iowa qu’un gamin de 14 ans verra. Et pourtant il l’a fait et ce n’était pas censé être possible. Ce dynamisme impose le respect.

 

4) J’ai le sentiment que tu t’es retrouvé dans des endroits peu recommandables et à parler avec des gens intimidants durant ton parcours, tu dois avoir plein d’histoires complètement folles. Y’en a-t-il une qui te vient à l’esprit ?

 

En Afghanistan, les montagnes dans les tunnels soviétiques dangereux comme pas permis, sans visibilité, les routes sont pourries, on est toujours sur de point de glisser d’une falaise, des mines dans tout le pays. Un road-trip de 7 jours très très risqué là-bas.

J’ai infiltré un hôpital psychiatrique pour un article. Très dur également. Ils avaient trop d’emprise sur moi –t’es bloqué dans un endroit où chacun manigance contre l’autre avec des gens très malades, tordus, profondément marqués, dangereux et blessés. T’es traité comme la pire des ordures par le personnel… Il a fallu que je sois constamment sur mes gardes et j’étais préoccupé parce que s’ils faisaient ne serait-ce qu’une recherche sur Google et qu’ils me perçaient à jour, c’en est fini de l’article et je me retrouve face à des poursuites pour intrusion sur terrain privé ou public.

 

5) Parmi toutes les interviews et articles que t’as écrits, quelle est celle qui t’a laissée l’impression la plus durable ?

 

Ma femme est tombée malade huit jours après le 11 septembre (nous habitions à New-York). Très malade – un cancer en phase terminale. J’ai vu cette fille, sans exagérer, se faire torturer par cette maladie. Torturer comme les exagérations dans les films d’horreur. A la fin, elle m’a fait promettre de ne pas la placer dans un hôpital ou un hospice, de prendre soin d’elle à la maison. Bien entendu, ai-je dit, c’était mon âme sœur, LA compagne de ma vie, j’aurais fait n’importe quoi pour elle.

Mais voilà, va lui faire des piqûres de morphine des milliers de fois, va l’emmener aux toilettes sur ton dos, lui changer ses couches et le pire du pire, c’est qu’elle pleurait et me disait : « je en veux pas mourir, je suis trop jeune pour mourir ». Et je lui disais qu’elle n’était pas en train de mourir, bordel, que ça n’arriverait pas. « Je te protégerai, ne pleure plus ».

J’ai rien pu foutre. Elle a été opérée du cerveau, ça s’est propagé aux os. Je m’étendais à ses côtés sur le sol toute la nuit, elle hurlait et pleurait non-stop.

Des hallucinations, je la nourrissais comme un animal, au compte-goutte, le corps recouvert de patchs Fentanyl. Le centre Carter, le Président Jimmy Carter et sa femme Rosalynn ; j’ai une dette envers eux, ils m’ont alloué une bourse de 10000$, donné un sens à mon engagement, ils se sont occupés de Sumi très gentiment lorsque je l’ai emmenée à Atlanta pour les rencontrer. Je suis toujours en contact. C’était une bourse pour écrire et couvrir la maladie de Sumi et au bout du compte sa mort. Elle est morte dans mes bras, j’ai à moitié essayé de la réanimer, d’ouvrir sa mâchoire fermée. Elle est morte, je l’ai déshabillée, les affreux vêtement qu’elle portait, les vilaines blouses médicales, retiré ses couches – je l‘ai habillée comme il fallait dans une jolie robe et placée dans une housse mortuaire.

Dans les tunnels avec JA, on a brandi des couteaux sur moi dans un refuge pour sans-abri, les fois où j’ai été agressé, où on m’a sauté dessus, l’Afghanistan, quand j’ai été dans un club ???

Mais tout ça, c’est de la blague après la mort de Sumi. RIP Sumiko.

Donc, j’ai écrit à son sujet et j’ai revécu sa mort, suis repassé par-là une seconde fois sur feuille blanche. Désormais, ça fait partie de l’ensemble des travaux de ma vie – JournalismWorksPorject.

 

6) Parmi les articles que t’as écrit, quel est ton préféré ?

 

L’article de Rolling Stone sur le graffiti est époustouflant à mon sens. Tu ne sais pas combien de personnes j’ai pu rencontrer, de tous les horizons et qui, lorsque le sujet vient sur la table, me disent, bordel, c’est toi qui as écrit ça et là, j’me dis, bordel, et toi tu l’as lu.

Pourquoi est-ce que cet article est si populaire, c’est pas possible… quand j’allais dans des bibliothèques pour photocopier l’article pour l’envoyer à des rédacteurs en chef, je parcours le magazine et quand j’arrive là où il devait être, il n’y est plus, ç’a été déchiré et volé.

Des gens me disent avoir gardé le magazine des années et lire et relire l’article, comme s’il s’agissait de la bible. C’est devenu un classique du genre.

Lorsque j’ai mis l’article en ligne sur mon site récemment, le nombre de connexions a commencé à devenir dingue ; pour une raison qui m’échappe, c’est la seule version conçue comme celle d’un magazine, avec les photos, la seule version sur tout le web, tous les autres sites ont une version différente, un long texte noir brut bien moche.

C’est incroyablement flatteur de se balader sur des forums et de lire des sujets de discussions de plusieurs années qui font l’éloge de tes travaux. Que tous les sacrifices et émotions par lesquelles t’es passé valent la peine, que t’aies fait quelque chose de bien au bout du compte. Que tu puisses transmettre aux gens quelque chose qui vaille la peine d’être lu.

L’article le plus jouissif que j’ai eu à écrire du fait de la complète liberté qui m’a été accordée, ç’a été un article sur le jeu. Sam Sifton du NYPress à l’époque, désormais au NYTimes était mon rédacteur en chef et il était excessivement respectueux de mon travail en tant qu’écrivain, il a pas essayé de le niveler par le bas, d’aplatir son originalité, ce que font nombre de rédacteurs en chef.

J’ai écrit un article sur les militaires américains à l’étranger, en Corée, qui est connu et tristement célèbre et je pense que c’est l’un des seuls articles qui soit allé voir en profondeur ce qu’était la vie pour quelqu’un de 18 ans dans l’armée à l’étranger. J’ai vécu cette vie quand j’avais 18 ans donc j’ai eu le sentiment que je pouvais véritablement apporter quelque chose de vrai à l’article.

 

7) Où te vois-tu dans 10 ans ?

 

Dans 10 ans, faudra que j’écrive encore. J’ai écrit toute ma vie et c’est la seule chose qui ait compté pour moi, puis quelque chose s’est produit et j’ai perdu le désir d’écrire.

J’ai enseigné pendant deux ou trois ans dans un centre de détention pour jeunes dans le Bronx. J’ai conduit une ambulance qui répondait aux appels du 911. J’ai travaillé à l’extérieur et je suis qualifié comme pompier pouvant lutter contre les incendies en forêt. La mort de Sumi m’a bouleversé, ca m’a pris cinq ans pour m’en remettre.

Mais j’aime écrire à nouveau, dieu merci, on se sent vide sans passions.

 

8) Qu’est-ce que tu aimes faire pendant ton temps libre ?

 

J’aime être avec ma copine Mina et mon pote José et parler érudition avec mon pote Itay (bien plus intelligent que moi) en thèse de physique à Harvard et jouer à se taper dessus pour de faux avec Wei Chen, une femme de Taiwan dont je suis proche. Les sports, lire, regarder The Wire, jouer au handball, avant je sortais boire des verres, parfois en boîte, parler à de jolies femmes et être touché par leurs rires et lorsqu’elles dansent. Mais je me fais vieux. Maintenant, je regarde le compteur pour voir combien de personnes se connectent à mon site… Je déconne…

 

9) Qu’est-ce qu’il y a dans ton iPod en ce moment ?

 

J’aime bien Eminem, Dylan, Neil Young, « This is how we do it », « Gin&Juice », la musique qui te prend aux tripes et te rend passionné ; Cat Stevens et ses ballades surtout et le fait qu’il chante à tue-tête ses émotions avec ses tripes.

Je suis une sorte d’extrémiste de bien des façons, tant mieux qu’il m’ait branché avec JA. Donc, j’aime la musique percutante et qui t’emmène dans un autre monde où tu serais capable de marcher vers un flingue si tu penses que c’est justifié et être complètement serein.

 

10) Un dernier mot ou dédicace ?

 

La chose la plus importante dans ma vie est ma capacité à être journaliste, écrivain. Cet homme m’a pris sous son aile, mon professeur de Columbia University, il a été là pour moi quand Sumi était malade – c’a été celui qui a transmis ma proposition sur le graffiti à un rédacteur en chef chez Rolling Stone. Sans lui, je n’aurai pas eu ce genre d’accès à un rédacteur en chef. Il m’a dégotté des jobs, m’a recommandé, il s’est conduit comme le père que je n’ai jamais eu. Dédicace à un enseignant qui a été bien plus loin que ce qu’on lui demandait. Michael Shapiro, professeur de l’université de Columbia, Graduate School of Journalism.

Son dernier ouvrage s’appelle Bottom of the Ninth (en français quelque chose comme La Dernière Chance). Achetez-le, comment pourrais-je jamais lui rendre ce qu’il m’a donné pour ma carrière de journaliste ?

Dédicace à Adrian Nicole Leblanc, la meilleur écrivain aux Etats-Unis. J’aimerais avoir son adresse email pour le lui dire directement.

Dédicace à Miki Obata, la fille la plus gentille au monde. Eiko, la meilleure sœur et sa famille, les Furuyama. Miku, Sora et Funo genki doska de New-York, Okasan et Otosan. Je vous adore tous (c’est la famille de Sumi au Japon).

Merci de m’avoir laissé cette chance, c’a été un plaisir inattendu, s’il vous plaît, ne retirez pas mes dédicaces à postériori.

Et bien sûr merci à JA, SMITH, KET, JD et SET – ils m’ont donné l’opportunité et le privilège de vivre dans leur monde et ils ont été réglos.

J’espère qu’ils vont tous bien et qu’ils resteront en bonne santé. Restez sain et sauf.

Mon site internet est :

 

www.JournalismWorksProject.org

L’entretien original en anglais est à retrouver ici. 

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