STRIKO – Graffeur en voyage
De passage prolongé à Perth, en Australie Occidentale l’année dernière, quelle ne fut pas ma surprise de tomber sur un tag STRIKO derrière un « liquor store » local bien connu. Il n’en fallait pas plus pour que je contacte le lascar en vadrouille depuis un bout de temps. Bon app’.
Hélaire
Qu’est-ce qui fait que tu te retrouves en Australie ?
Melbourne – 2016
STRIKO
Je suis parti en Australie en mai 2015, poussé par mon petit frère qui ne me voyait pas heureux dans ma vie. On est partis pour un an, puis on a fait ensuite un an et demi en Asie et un an en Nouvelle-Zélande, tout ça sans arrêter de tagguer, rayer, graffer comme en témoigne mon Instagram… Là, je viens d’arriver en Californie.
H
Combien d’années de graff’ à ton actif ?
S
Ca fait maintenant douze ans que je graffe mais j’ai fait beaucoup de tags et rayures avant ça.
H
Tu peux détailler ton parcours de graffeur ?
S
Je commence avec un poto d’enfance, JUST, qui crée mon premier vrai crew de cœur : ATT. Je commence à faire dans l’abondance en solo ensuite, mais avec aussi différentes phases avec des mecs de mon crew OMS, notamment FRENCH, JUST, 6MIC et d’autres connections à droite et à gauche et qui pour certains sont de vrais potos et très doués au niveau artistique comme SORA, OENT, FEITO, SKEZ, CHOST. Ensuite, j’ai eu ma grosse phase avec AGNO entre 2010 et 2015 pendant laquelle on a fait beaucoup d’autoroutes et voies ferrées à l’échelle. En 2011, je me paie un procès avec 83000€ au-dessus de ma tête avec la RATP et la SNCF comme plaignants. Tout ça se finit bien avec un rejet de la demande des parties civiles car elle était imprécise et infondée. Comme d’hab’, la brigade anti-tag a fait les cow-boys et bâclé l’enquête avec de nombreuses erreurs et entorses à la loi dans les procédures que mon avocat n’a pas manqué de souligner, c’est d’ailleurs lui qui a notamment défendu les BMO.
H
Marrant que tu cites FEITO qui doit être un des mecs qui cartonne le plus à Paris en ce moment…
S
J’ai un peu posé avec lui, il avait 17 ans, j’en avais 27. Du fait qu’on soit du même secteur, il m’a dit que j’étais un des mecs qui l’avait marqué et poussé à marave et qu’il avait été honoré de poser avec moi donc ça fait plais’…
2014 ligne 7 Châtelet
H
Et justement, toi, qui sont les mecs qui t’ont influencés/ont fait que t’as commencé ?
S
Les mecs qui m’ont influencé à la base sont tous les mecs de ma partie de la ligne A qui maravent du côté du 92, 95, 78 comme les SEA TSO VIP 101 ABC LSK.
H
Ce procès et tes différentes arrestations te freinent ?
S
Elles te calment forcément, mais chasse le naturel… T’es piqué à vie quand tu commences.
H
Une préférence pour le tag ?
S
Etant plus un vandale qu’un artiste, j’ai toujours eu un amour du tag et des rayures sans me poser plus de questions que ça, c’est quelque chose qui a fait partie prenante de mon quotidien pendant des années. Quand j’ai véritablement commencé à graffer, je faisais des pâtés et je me disais, ouais le graffiti, c’est pas pour moi en scred. Et j’me souviens de mon poto SCAR qui me disait : « ouais, mais il est là ». Et il avait raison. Vu que j’étais pas doué pour peindre de belles lettres proportionnelles, je me suis mis à faire des gros block et ensuite je suis passé à l’échelle. Et là, j’ai vraiment eu l’impact que je voulais sur ma ligne entre Maisons-Laffitte et Nanterre.
H
STRIKO, pour quelle(s) raison(s) ? Enchainement des lettres, signification ?
S
J’aimais bien les lettres, le sens de strike en anglais et parce que je voulais finir avec un O. J’ai regretté plusieurs fois la longueur du blaze à six lettres, notamment parce que j’étais pas hyper-rapide, mais finalement, j’ai tellement donné de ma personne pour ce blaze que j’ai pas voulu en changer, même si je me suis fait pété avec celui-là. J’ai commencé à être bien plus rapide en 2010 quand j’ai vraiment augmenté la quantité en arrêtant les blocks et quand je suis passé à des pièces plus petites avec un lettrage un peu plus travaillé. C’est devenu mon tampon qui est d’ailleurs toujours d’actualité et dont j’ai du mal à me défaire mais qui est ma marque de fabrique. Je fais partie de ces mecs piqués par le graffiti et qui continueront de poser jusqu’à je ne sais quand car cette vibe intense et tellement addictive n’a pas de prix… STRIKO forever.
H
Concernant ton tampon, t’as du mal à en sortir donc ?
S
J’ai mon tampon que je kiffe et il me représente, donc pas vraiment de recherche calligraphique ; j’me diversifie plus en tag, même si là aussi j’ai mon tampon.
Photo 2018 vers Clichy/St-Ouen – graff qui date de 2015 environ
H
Etant plus un vandale comme tu me le disais, faire des toiles ; ça doit pas t’attirer ? Ou bien t’as des préférences dans la peinture « traditionnelle » ?
S
J’suis pas un gros producteur de toiles, mais j’en ai faits quelques-unes pour moi, des collab’ ou pour offrir. Je m’amuse pas mal à faire des fonds abstraits, et c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup (l’abstrait ndlr).
H
Revenons-en à l’Australie, où débarques-tu ?
S
Je suis arrivé à Melbourne et c’était défoncé, y’avait de belles places alors je m’y suis mis direct avec marqueurs et bombes, mais pas de connections avec les Aussies. Je posais avec mon reuf, des potos, notamment TONTO SUA de Paris ou ma meuf de l’époque.
Melbourne – 2016
H
Et Perth alors ?
S
Perth, je bossais pas mal, mais le péage a été costaud, on va dire ; les keufs te traitent comme un criminel alors que c’est que de la peinture finalement. Pour mon seul graff’, le soir de Noël là-bas, je me fais pété et j’me prends 700$ d’amende… Du coup, je suis parti au Vietnam ahah. J’étais avec ma meuf finlandaise à l’époque et après avoir tisé et mangé, on est parti faire un graff, on s’est fait cavalé par les keufs qui eux étaient en caisse et nous ont fait une belle arrestation musclée à l’américaine. Ma meuf était choquée.
L’unique graff à Perth pas fini
H
Vu que t’abordes les meufs, c’est un bon moyen pour pécho le graffiti ?
S
Les meufs aiment les bad boys et le graff’, donc ouais ça aide.
H
Et comment ça se passe en Asie, vu que tu pars notamment au Vietnam ?
S
En Asie, ils connaissent moins le graffiti que chez nous, ils kiffent les blancs donc c’est plus easy et t’as moins besoin de faire d’illégal, même si tu prends des places de ouf, genre des baraques, des restaurants ou des épiceries locales car les gens kiffent et autorisent assez facilement, surtout au Vietnam et aux Philippines, parce qu’ils connaissent pas vraiment le graffiti alors ils le perçoivent d’un oeil différent. Tu leur demandes avec le smile et ta gueule de blanc et ça marche. C’est plus chaud en Thaïlande et au Laos. Le Japon est déjà bien plus répressif. Le seul graff que j’ai tenté de rentrer en pleine rue à Tokyo a encore fini en cavalcade avec les keufs deux minutes après avoir commencé où j’ai bien sûr réussi à leur mettre. Tant mieux, car j’aurais sûrement fait de la prison juste pour ça tellement ils rigolent pas là-bas. Pour te dire, pour un joint tu peux te faire dénoncer par tes voisins et tu vas en prison ; beaucoup de délation là-bas.
Aux Philippines
Au Vietnam
S
Tiens pour illustrer ce que j’te dis, v’là une p’tite histoire: je viens de passer la frontière entre le Vietnam et le Laos en bécane avec mon frère et un poto. Mon pote s’est éclaté en bécane, donc on s’arrête au village le plus proche et par chance il y a un semblant d’ hôpital pour faire recoudre mon pote. Moi pendant ce temps-là, je cherche des sprays et une place. On m’autorise pas bien évidemment, je fais mon graff et une fois terminé la police arrive et me questionne sur la raison et la signification de la peinture. Vu qu’ils ne pigeaient pas qu’il s’agissait juste de mon nom sans message politique, ils me font repeindre, puis m’embarquent au commissariat pour les mêmes questions-réponses. Il faut savoir que c’est un pays dirigé par l’armée, communiste et très conservateur et qu’au nord du Laos, c’est une région pauvre et qu’ils n’ont aucune idée de ce que le graffiti est et donc ils pensent en premier lieu à un message politique. Bref, après encore un p’tit bout de temps au comico et une recherche dans le dictionnaire laossien pour leur montrer la définition du mot art, ils ont compris que j’étais inoffensif et pas une menace pour leur tranquillité et que de toute façon, le graff était repeint. Et ils ont fini par me relâcher en s’excusant.
La photo en rapport avec l’anecdote ci-dessus
H
Ton petit frère graffe aussi ? D’autres frères et sœurs ? Parisien d’origine ? Tu viens de quel milieu ?
S
Mon petit frère ne graffe pas, mais il m’a parfois accompagné en mission. J’ai aussi un grand frère qui est cuisinier qui me suit et me soutient à fond dans mon art. Je viens d’une famille aisée au départ, puis ça s’est dégradé par la suite. J’ai habité à Gare du Nord jusqu’à mes cinq ans, puis Bezons dans le 95 cinq ans encore et enfin Maisons-Laffitte jusqu’à ce que je parte de France à 28 ans.
H
Qu’est-ce que t’as fait en France à côté du graffiti ?
S
J’ai fait une école de théâtre. J’suis aussi un ancien breaker et donc graffeur et acteur, artiste à part entière somme toute.
H
Donc Hip-hop pur jus ? Un morceau à écouter en particulier?
S
Ouais, gros ancien breaker, donc hip-hop la race bien sûr. Pas un morceau en particulier, mais gros fan du Wu-Tang et C.Sen.
H
Ca fait plus de trois ans que t’es parti désormais, des trucs te manque en France ? La bouffe ?
S
Mes proches me manquent, mais pas trop les Français et la France ahah. Pour ce qui est de la bouffe, j’arrive toujours à me faire des p’tits kifs français, mais je m’adapte bien en général. J’aime la bouffe et j’suis pas difficile.
H
Une anecdote parmi tant d’autres ?
S
Embrouilles et anecdotes nombreuses forcément vu que c’est un art illégal et narcissique. Toujours des missions de ouf pour échapper aux keufs, à la BAC et à la ferro où j’ai dû cavaler de ouf, escalader, sauter, me planquer, ramper pour au final gagner et échapper aux GAV et aux problèmes qui en découlent… comme par exemple, le jour où en rentrant de la fête de la musique avec une bonne équipe en RER bien alcoolisée, on tagguait l’intérieur du train à la bombe et au marqueurs comme des dégénérés. Tous mes potes sortent et je dois descendre à la stat’ d’après… sauf qu’à ma station, la ferro m’attendait. Ils ont vu les bombes et les marqueurs dans mon sac et m’ont mis sur le côté pendant l’examen du wagon avant que le train ne reparte et là, je suis parti en courant sur le quai, puis sur les rails, puis de maisons en résidences par les jardins, tout ça alcoolisé avec la ferro qui me suit en criant et me menaçant pour finalement arriver à les esquiver, j’suis resté planqué jusqu’à ce qu’ils lâchent l’affaire. Une belle victoire. J’étais sportif et acrobate à l’époque, donc easy d’esquiver même si parfois les cavalcades sous alcool et pilon te donne la gerbe.
H
Ce que tu retires de tes années de pratique ?
S
Que des grosses vibes que j’me suis prises avec des gros souvenirs; et comme disait Oscar Wilde, les choses les plus folles sont les choses que l’on ne regrette jamais.
Photos perso et Instagram Striko
Une réflexion sur « STRIKO – Graffeur en voyage »