Traduction de l’interview de J. Marcelo pour « the graffiti review »

Plutôt que de parler de la bouse réchauffée sensationnaliste sans intérêt de Brut, je suis revenu à mes premières amours, à savoir la traduction. Ca faisait vraiment longtemps. Autant je connaissais les pixacaos de nom, autant je ne savais pas qu’il y avait une différence entre Rio et Sao Paulo au Brésil en termes d’esthétique sur le sujet. Bonne lecture.


Récemment, depuis le Brésil, j’ai reçu un livre un peu insolite intitulé XARPI qui se focalise sur la culture du tag propre à Rio de Janeiro. L’auteur du livre, João Marcelo a réalisé une brillante typologie des xarpi, la variante des pixacao que l’on trouve dans sa ville natale. Marcelo est graphiste, sorti diplômé de la faculté de la ville en dessin industriel en 1998 et il a consacré les huit dernières années à archiver les xarpi dans chaque recoin de Rio. Ce style de graff étant peu connu de ce côté du globe, j’ai décidé d’en savoir plus concernant la genèse du projet, ce que sont exactement les xarpi et d’où sort le livre.

Petit, j’ai été un pixador, mais sans devenir un grand nom, ce n’était pas ma priorité. Être reconnu dans le monde des pixacao est un vrai sacerdoce. En 1980, quand les pixacao sont apparus, je vivais à Rio dans le quartier de Vila Isabel. C’est un des quartiers où les pixacao ont été créés. J’avais 6 ans et j’apprenais à lire et écrire. A l’époque, c’était vraiment les débuts et les pixacao étaient complètement lisibles. D’une certaine façon, j’ai appris à lire en voyant ces graffitis. Un de mes voisins, le grand frère d’un ami, était déjà un pixador reconnu à l’époque et c’est ce qui a attiré mon attention si tôt.

En 1982, à huit ans, on a déménagé dans la zone voisine de Tijuca. C’est un des endroits parmi lesquels les pixacao se sont développés à Rio et à l’époque, le principal lieu de rencontre des pixadores était le square Saens Pena. Depuis, j’ai toujours suivi le mouvement pixo à Rio de près. J’ai aussi suivi l’apparition du street-art qui a suivi. Il y avait vraiment peu de publications à cette époque, mais je me débrouillais toujours pour récupérer des magazines sur la scène graffiti de Sao Paulo qui émergeait et qui était plus active. Je courais aussi après les imports US et européens. Ce n’est que plus tard, une fois à l’université que j’ai commencé à collectionner des livres importés sur le graffiti et l’esthétique des rues. J’y ai toujours prêté attention dans ma ville. J’ai donc été en prise avec l’univers de la « street » depuis tout jeune.

Xarpi est le nom donné aux pixo à Rio de Janeiro. C’est une inversion du mot pixar dans la langue des pixadores de Rio et inventé par les pixadores du quartier de Catete. Cette langue est connue comme la « Gualin de TTK » (du mot lingua en portugais brésilien, la langue, un équivalent du verlan) dans laquelle les syllabes sont interverties.     

Le mouvement  xarpi est composé de nombreuses éléments. Les Xarpi, ce sont les tags, les pixo, et ça peut inclure les initiales d’un crew. A Rio, les pixador veulent d’abord la fame individuelle, puis celle de leur crew, la « Sigla », l’acronyme du crew. Nombreux sont les gens à rapprocher pixacao d’un côté et logos de heavy-metal et gratte-ciels de l’autre. De leur côté, les pixo de Rio, ont une estéthique calligraphique unique, différente de celle que l’on trouve à Sao Paulo. Ses formes sont sinueuses, ondulent, très certainement influencées par la géographie de la ville, barrée par des collines abruptes. Ca fait quarante ans aujourd’hui et le mouvement  xarpi continue, de façon plus ou moins intense, omniprésent dans la ville. Les calligraphies présentes dans le livre XARPI sont ceux de la première génération de pixadores de Rio. Ce style calligraphique a subi des mutations. Aujourd’hui, les tags (lettres, pixos, xarpi) de Rio ont une esthétique différente. Le mouvement xarpi a évolué ».

Un jour, je buvais des bières et discutais dans un bar avec un ami, Clecio Freitas (Clecio est crédité dans le livre pour ses travaux de recherche sur le projet). On se remémorait les pixacao qui existaient à Rio, les références du mouvement à l’époque. Clécio était aussi un pixador, quand il était gamin et on avait même fait des pixacao ensemble dans le passé. C’est dans ce bar, qu’il a eu l’idée d’un livre lié à ces souvenirs. Il m’a persuadé, qu’en tant que graphiste, j’avais suffisamment de savoir-faire pour aller au bout du processus. Clécio me rappela aussi que ces pixacaos seraient effacés d’ici peu (la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques devaient avoir lieu dans la ville de Rio) et qu’il fallait que l’on documente ça rapidement d’une manière ou d’une autre. Et de fait, les pixacao de cette époque furent effectivement effacés. Cette conversation me persuada de faire ce travail d’archivage. C’était un samedi et le dimanche, on était dehors à photographier les pixacao partout dans Rio.

On a commencé à prendre des photos en 2005. On a quadrillé presque chaque quartier de la ville. Fait intrigant, en commençant à prendre des photos, on pensait qu’il y aurait environ 300 pixadores reconnus. Après un moment, on s’est rendu compte qu’il y avait plus de 1200 pixos importants. Les gens dans la rue trouvaient ça bizarre de nous voir prendre des photos. Ils supposaient que les gens qui avaient faits ces pixos devaient être les mêmes que ceux qui les photographiaient. Les gens n’aimaient pas ça, réagissaient négativement et avec hostilité quand ils nous voyaient prendre des photos. Il fallait vraiment faire attention. Après avoir regroupé plus de 1400 photos, il était temps de concevoir la maquette du livre.

Je pense que c’est important de documenter un phénomène qui a 40 d’existence sans interruption et avec une esthétique veritable. C’est un témoignage sur la première génération de pixadores de Rio de Janeiro. Je crois que le pixacao a toujours été un exercice de style créatif, à la fois brut et sauvage, sans recherche préalable. C’est une esthétique singulière créée dans la rue et étalée dans la rue elle-même. Les seules personnes à comprendre ce langage sont les gens impliqués dans cette pratique et ce, sans acceptation de la part de la société. Notre but est de laisser un témoignage marquant des pixacao à Rio. C’est important que les traces de la première génération de pixadores soient compilées visuellement quelque part. On croit fermement qu’une pratique qui a fédéré tant de jeunes mérite une forme de documentation.

On a eu, les gens de mon âge et moi, le privilège d’évoluer dans un monde analogique et de migrer vers un monde numérique. Bien que cela soit bien plus cher à produire, je pense que les livres physiques perpétuent mieux l’information. Ca a pris du temps pour réunir l’ensemble de l’argent nécessaire à l’impression. « XARPI » est un projet totalement indépendant. Je suis un fervent collectionneur de livres, donc mon opinion est peut-être biaisée, mais je pense que les médias numériques permettent la production et la publication de contenu très rapidement, mais ce dernier disparaît à jamais aussi vite. Il est éphémère. Les album-photos physiques dans la maison de ma grand-mère sont encore là aujourd’hui avec des photos des années 50, 60, 70 et 80. Elles sont où tes photos d’il y a 5 ou 10 ans ? Rires.

On a déjà des idées pour une future publication, mais le nom ne sera pas XARPI 2. Rires. Ce sera un plus petit livre et moins compliqué. J’espère qu’il y aura une nouvelle version en anglais pour que les puristes de graffiti en Europe puissent la lire !   

L’article original en anglais ici.

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