Entretien avec Rock ADK aka G. Gérard

 

Entretien avec Rock ADK aka G. Gérard

Guilhaume Gérard, importateur et distributeur de vin à New York, français et désormais américain, revient sur son passé fait de graffiti, bonnes bouteilles et belles galettes, entre autres. Echange avec un Passionné.

Hélaire:

Comment passe-t-on du graffiti à Paris à l’import et à la distribution de vins aux Etats-Unis?

Guilhaume Gérard:

Je suis parti de France fin 2001 pour éviter la perquisition qui était imminente, un des mecs avec qui on avait pas mal peint était passé par la case GDN pendant 48 heures ; ils avaient serré Romain Gavras qui avaient filmé nos actions, la meuf de notre pote. Ils avaient tapé chez cet espèce de « street-artist » à la con, l’Atlas, qui avait tout balancé en 30 secondes pour éviter d’aller au poste, bref, je savais que d’ici à quelques mois, ça allait débouler à la maison, c’était mathématique.

Donc j’ai fait mon baluchon et je suis parti vers la côte ouest des US pour éviter de me retrouver devant GDN. Je suis arrivé à San Francisco en décembre 2001, trois mois après le 11 septembre. Impossible de trouver un taf, puis au final, un taf de merde, suivi par un taf encore plus merdique, puis ça commence à aller mieux. Une meuf, une femme, une passion pour le vin qui se développe et qui devient un business, un bar à vin qui ouvre en 2007, puis ça évolue vers l’import de vin qui me parle, une vrai carrière qui se crée après bientôt 10 ans dans ce milieu du vin naturel.

H:

Tu m’as dit que tu voyais du JA encore tous les jours, le radar à tags/flops/graffs est toujours actif? 

GG:

Le radar est toujours actif, mais je pense que je fais de moins en moins gaffe aux petits. Je calcule les kings principalement, les JA, les NEKST, les ADEK, les EARSNOT, mais les mecs de passage, mon radar marche moins bien. Les mecs que j’ai pu croisés, avec qui il y a une histoire perso, même si elle est en dehors du graffiti à proprement parler, je les vois, les autres moins.

H:

Ca a dépassé un peu tout le monde la tournure des événements en 2001 ? On a pu te voir dans des vidéos, genre Dirty Handz 2 ou Pirates ? Y’avait une idée derrière les vidéos ?

GG:

Ca m’a pas dépassé les événements de 2001 ; j’avais déjà fait un saut chez Etienne à Austerlitz en 1997, donc j’étais quand même assez au fait de ce qui pouvait se passer, ce qui était la raison pour laquelle je ne posais jamais mon nom sur métro, j’étais assez méfiant, je faisais gaffe. Donc c’est arrivé et je me suis barré avant d’avoir à retourner devant je ne sais quel commissaire.

J’étais dans quelques vidéos, la Ultimate Video 1 ou 2 je sais plus bien, une session saut de rail que FIZZ avait filmé, j’avais passé toute la matinée à sauter sur la 7.

Les vidéos, c’était un truc qui était là ; puis comme on a grandi avec cette équipe de Kourtrajmé, ça les amusait beaucoup, principalement Romain, de venir avec nous dans les dépôts. On a des centaines d’heures d’images en stock qui n’ont jamais vu le jour.

H:

Doit y avoir de sacrées archives !

GG:

Oui, et en même temps, ça a plus une valeur sentimentale qu’autre chose. C’est souvent filmé à l’arrache, très focus sur les graffs alors que l’ambiance était plus importante souvent. En DV, ce qui reste pas terrible niveau qualité, mais bon, voir des potes qui ont disparu en train de peindre, se voir 20 ans après, ça reste une expérience…

H:

Quand tu parles d’ambiance, tu fais référence à quoi précisément ?

GG:

Pour moi, l’ambiance des lieux. Les trappes, les descentes, les tunnels, la lumière. C’est ce qui me manque le plus. L’odeur, les tags dans le dépôt, la guirlande de porte d’O’, le dépôt de Saint-Denis quand y’avait que deux tags, les fois où on faisait sauter STUPE sur le toit d’un métro pour ouvrir la porte de l’atelier de la 2.

Porte d’O’ était un des dépôts magiques à Paris, une boucle, des métros à pneus, les craquements des métros, une trappe qui te ramenait dans un coin de la boucle avec un recul de malade. Pour les panels c’était génial, même si on faisait principalement des wholecars de nuit là-bas. Je me suis fait quelques sessions panels et puis des rayures avec ACE aussi. Un jour, avec lui, on a trouvé un joli trousseau de clefs là en bas d’ailleurs. Bref, à l’ouverture de la porte, il y’avait une guirlande d’ampoules devant ce qu’on appelais le wagon à DIXE. DIXE aimait bien ce wagon pas entier juste devant la porte. Comme il avait le respect de l’ancienneté sur nous, il choisissait là où il voulait peindre à Porte d’O’. Moi je me retrouvais souvent au dernier wagon le plus proche de la stat’, en train de me chier dessus pour terminer mes wholecars.

H:

« Voir des potes qui ont disparu en train de peindre », donc, des décès liés au graffiti ?

GG:

Non, notre pote qui est mort c’était autre chose, mais il est plus là et c’est ça que tu retiens. Quand tu le revois, ce mec, ACE, en train de parler, en train de peindre, avec tous les trucs qu’on a vécu ensemble, quand tu revois ton pote comme ça, c’est super dur. On a tous morflé quand il est parti parce que c’était un mec extraordinaire. Le mec le plus gentil de la planète, tout en étant capable d’être très dangereux. Un mec qui me guide encore aujourd’hui, à qui je pense très souvent.

H:

C’a été bénéfique sur le long terme ce passage chez les flics en 1997 ? Tu connais les raisons du serrage ? Ton rapport aux flics ? C’est un passage obligé ou la chance joue aussi pour ceux qui ne se sont jamais fait pétés ?

GG:

C’a été bénéfique oui, d’une certaine manière. J’ai fait une pause, j’ai changé de nom, et je suis revenu plus sérieux, plus déterminé.

En 1997, on a perquisitionné chez moi à cause d’un coup de balance. On était gamin, on arrachait des intérieurs tous les weekends, des sauts de rails, des entrées de tunnels, pas grand-chose d’autre. Ils en ont trouvé un et l’ont fait causer. A 17 ans, les mecs causent vite… Ils avaient déjà un bon dossier, alors je me suis assis, j’ai nié deux heures, puis ils ont sorti les photos de moi en train de poser dans des stations, et comme un idiot j’ai avoué. Avec le recul, j’aurais agi différemment mais bon. Chez moi ils avaient rien trouvé, j’avais bien nettoyé, ils avaient un peu la rage là-dessus.

Avec les flics, ça a pas toujours été mauvais, j’ai réussi à m’échapper pas mal de fois, ou carrément à les endormir, j’essayais de pas avoir trop le profil du tagueur, ça m’a sauvé pas mal de fois.

Des mecs qui ne se sont jamais fait pétés? Ca existe? Avec le mythe AZYLE qui est tombé, je pense que tout le monde sait que personne ne se fait « jamais » pété, il y a juste ceux qui gèrent bien au commissariat.

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H:

Tu t’intéresses au graffiti, comment et dans quelles circonstances ? Un souvenir que t’estimes rétrospectivement marquant et que tu penses avoir été décisif pour la suite ?

GG:

Mon grand frère était un tagueur assez reconnu dans le sud et sur Paris dans les années 90, je pense que c’a été le déclic. Comme on ne vivait pas ensemble, je pense que j’ai essayé de me rapprocher de lui comme ça, en même temps, avec des influences bien propre à la ville où j’étais, Nîmes, où il y avait une scène assez intéressante et vivante. Les premiers tags de VERU, ATACK ZED, FMC, EKSPLOZE et DANGER, puis les visites de SAER et NASCIO en ville, tout ça nous a bien mis dedans avec mon meilleur ami, Delay. On s’y est mis en 1992 et on a jamais vraiment lâché jusqu’en 2001/2002.

H:

T’as été actif pendant une petite dizaine d’années, t’as aussi étudié en parallèle ? T’as rapidement opté pour ton blaze ? Pour quelles raisons : enchaînements des lettres, signification ou autre ?

GG:

J’ai commencé le graffiti en 1992, à 12 ans, donc, au collège, puis je suis devenu un peu plus sérieux en remontant sur Paris en 1996, avec des intérieurs, des tunnels, des sauts de rails, puis après ma perquise en 1997, je me suis remis dedans sérieusement, métros, trains et tunnels de 1998 à 2001. J’ai eu plusieurs noms avant d’opter pour ROCK qui était un peu comme rester anonyme, tellement c’était un blaze vu et revu. Sur métros, à Paris en tout cas, je n’ai jamais utilisé ce nom, uniquement des alias.

Je crois que fin 99, je me mets sérieusement au métro et fin 2001 je pars aux US.

Entre les deux dates, je peins un peu plus d’une centaine de métros à Paris, puis des RER, des trains un petit peu, et je voyage pas mal à l’étranger pour les métros également.

Il y avait clairement une émulation autour des endroits. Certains, même de nos groupes, tapaient les mêmes dépôts des dizaines de fois, moi j’aimais beaucoup plus découvrir les endroits, me prendre la tête à y aller jusqu’à ce que ça rentre, après, je préférais passer à un autre dépôt en général.

J’étais un âne à l’école, ça a toujours été très difficile pour moi de m’adapter à ce système. J’ai bossé dès mes 18 ans, j’avais mon appart’ avec mon meilleur pote, Pierre, et on collectionnait les disques, on bouffait des pâtes à l’eau, et à la maison on avait toujours pleins de potes qui fumaient des joints, préparaient les prochains plans métros, mixaient du rap new yorkais.

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H:

En 1997, t’es encore mineur, ton arrestation a abouti à quoi ?

GG:

Ca m’a calmé, remis en question. Il était plus question de se refaire prendre comme un débutant. J’ai pris du TIG que j’ai jamais fait.

H:

Tes débuts se font en solo ou avec ton frère ?

GG:

Mes débuts en solo, avec des potes de collège, même si le fait que mon frère soit un nom dans le milieu a probablement été un facteur assez décisif dans ma démarche.

H:

Pas de sœurs… c’est ma transition qui part nager… être un « writer », c’est un bon moyen pour choper des meufs ?

GG:

Jamais eu trop de soucis pour pécho des meufs, je suis pas certain qu’être tagueur ait aidé plus que ça par contre.

H:

T’as éminemment été influencé par ton propre frère, tu peux situer le milieu d’où tu viens ? Que faisaient tes parents en quelques mots ?

GG:

On vient d’une famille décomposée, recomposée, redécomposée, c’est un peu compliqué. Tout ce que je peux dire c’est que mes parents étaient assez gauchos et assez éduqués, sans être dans la bourgeoisie, c’était assez classe moyenne, avec des périodes plus aisées que d’autres. J’ai vécu entre Nîmes dans le sud et Paris, quelques années chez mon père, quelques années chez ma mère, puis je me suis installé à Paris avec mon meilleur pote avec qui je collectionne toujours des disques, même à quelques milliers de kilomètres l’un de l’autre maintenant.

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ROCK

H:

Une surface et un outil de prédilection? Une préférence parmi tags/flops/graff ou toutes les composantes sont importantes et varient selon les supports?

GG:

Surface, oui, le plastique du métro, y’a rien de comparable. Un outil, la Montana. Pas la bombe, la Montana. Celle qui remplit vite, qui sent bon et qui chie pas une fois sur deux. On en a vu des bombes de merde et je pense que quand on a eu accès a ça, ça a bien changé la donne. On faisait des wholecars a l’echole à porte d’Orléans en 25 minutes, je peux te dire qu’avec des Alacs et des Juliens, t’es encore dans le dépôt aujourd’hui.

Préférence pour les tags et les wholecars, j’ai jamais été un bon « styleur », donc il fallait impressionner autrement.

H:

Plus haut, tu disais « j’essayais de pas avoir trop le profil du tagueur, ça m’a sauvé pas mal de fois. », tu peux développer sur cette idée de profil-type ? T’as un ou deux exemples « d’endormissage » ou de cavalcades qui ont bien ou mal finies ?

GG:

Le tagueur à casquette, gore-tex, peinture sur les pompes, taches d’encre partout, trous de boulettes sur le survet’… Au bout d’un moment je descendais avec un duffle coat anglais, puis avec les MPV on portait toujours des bonnets de malade, un des membres en avait un avec 12 pompons, ACE et DIXE avec des pompons aussi, on se tirait la bourre à qui aurait le bonnet le plus ridicule. Je peux pas trop généraliser pour les autres, ça restait quand même pas mal survet/jean/gore-tex, mais moi je me retrouvais souvent à pas ressembler du tout a la masse.

Pas trop d’autres couvre-chefs, j’ai jamais trop aimé les casquettes, mais mon amour des bonnets aux couleurs à la con et aux formes bizarres m’est resté.

Pour les histoires, je me souviens une mission avec ACE sur un métro orange a Lyon, qu’on avait pas pu terminer, interrompu par un conducteur, on avait attrapé des cailloux et lui avait jeté dessus pour qu’il nous laisse sortir. On était avec un pote suisse. On sort du tunnel et CE-A et le suisse se barrent d’un côté, ils avaient la bagnole, et moi de l’autre. Je vais me cacher dans la cité, les sirènes, les lumières bleues, des talkie walkies, je fous mes gants à la poubelle, rembobine ma peloche, cache mon appareil, et j’attends une petite heure pour l’ouverture du métro.

Comme une moule, j’ai pas une thune en poche, alors je me pointe au premier métro sans ticket, et évidemment, la station est remplie de flics, dont un aux tourniquets.

Dans ces moments-là, c’est comme le vol, soit t’es dans l’optique je suis innocent je sais pas ce qui se passe, soit t’as ta tête de coupable.

Je saute le tourniquet super à l’aise, le keuf est mort de rire presque, je vais m’asseoir en sifflotant, en faisant tourner mon trousseau de clefs comme un blaireau, et les keufs passent devant moi comme si j’étais invisible et vont prendre la tête a un petit reubeu casquette survet’ a l’autre bout de la stat’.

Des histoires comme ça, c’était pas le quotidien mais presque.

Sinon, la fois où on ressort de Pelleport avec BALLE, FEAR, O’CLOCK et CRUNCH et qu’il y a des flics, les métros sont arrêtés en station et les conducteurs nous attendent avec des bâtons en mains. Je suis le premier à sortir, pas la peine de faire le fou, ils sont en nombre, et je me laisse attraper par un flic absolument en panique « bouge pas putain bouge pas » et je la joue super calme, mains en l’air et tout. Quand le dernier sort du tunnel, O’CLOCK, je sais pas pourquoi, mais ils s’énervent tous un peu et moi et CRUNCH on prend la tangente. On saute sur les rails, remonte de l’autre côté de la stat’ et on se fait la remontée en surface qui est assez pénible, c’est bien profond Pelleport. Sur quatre, on est deux à s’en sortir au final. J’ai dû perdre un poumon dans cette affaire.

H:

Tu parles d’une sorte d’exil forcé, pourquoi San Francisco ? Tu parlais déjà anglais ? Quels tafs pourris ? T’as freiné radicalement en arrivant sur place, je suppose ?

GG:

Je suis parti à San Francisco parce que je voulais reconstruire quelque chose, mais en dehors du graffiti. Donc NYC, c’était pas possible, il y avait un métro super bandant, je serais retombé dedans tout de suite.

J’avais pas de contacts à San Francisco, juste un bouquin d’Armistead Maupin que j’avais trouvé dans la rue quelques mois avant qu’on apprenne qu’il y avait une grosse enquête. Les joints, les hippies, la qualité de vie, tout ça semblait assez chouette, alors j’ai décidé d’aller voir.

Au début, j’étais en auberge de jeunesse, très peu de thunes donc je bouffais des nouilles ramen en sachet le soir, je traînais dans la ville, je parlais pas bien anglais, donc c’était pas évident, puis tu te fais un contact, il te présente un mec, et tu commences à débarrasser des tables. Mon premier taf me permettait à peine de payer ma chambre à l’auberge ; le deuxième ça a commencé à aller mieux alors j’ai pris un appart’ avec mon ange gardien là-bas, Luke JCT, une connaissance d’IDEAL que j’avais croisé par hasard là-bas, et qui m’a bien aidé. Comme j’étais pas encore super en confiance, pas de vol, pas de graffiti, le tag, c’en était déjà fini pour moi, même si j’ai peint quelques métros ici ou là dans les années qui ont suivi, ça n’as jamais été aussi sérieux. Le vol, ça a repris par contre, pour un bon moment, il me fallait quand même ma dose d’adrénaline journalière.

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Guilhaume G.

H:

Ce côté addictif du graff, ça s’estompe peut-être un peu avec le temps, mais ça ne part jamais vraiment, non ? Cet aspect prise de risque, tu penses que ça a pu t’aider ou tu t’es découvert d’autres facettes pendant la période de vaches maigres ?

GG:

Je pense que le graffiti vandale est une bonne école de la vie. Ca forge ce côté illégal, de penser différemment, d’être filou. Soit ça te rend complètement déconnecté de la réalité, soit tu vois juste les choses avec une perspective vraiment différente. Le vol, pas payer le train, rentrer dans des endroits ou t’es pas censé être, et tout ça quand t’es ado/jeune adulte, ça te forme forcement pour le futur. Moi j’ai volé jusqu’à y’a très peu de temps alors que ma situation est confortable depuis des années. Je taffe, j’ai monté des boîtes à San Francisco, à New York, je mange à ma faim, mais je tapais mes légumes, mon fromage, je volais encore les sandwichs triangle sur l’autoroute jusqu’a l’année dernière, mes journaux a l’aéroport… bref, ce côté filou, j’ai dû faire l’effort de m’en séparer, et ça, ça a pas été évident. Donc pour répondre à ta question, ça a pu m’aider dans les temps durs oui, mais ça aurait aussi pu être un handicap.

H:

«ce côté filou j’ai dû faire l’effort de m’en séparer, et ça, ça a pas été évident. », qu’est-ce que tu veux dire par là ? 

GG:

Je suis devenu ricain y’a pas longtemps, et au milieu de la cérémonie qui était super touchante -ça peut paraitre con- mais tu te rends compte du chemin parcouru, du sentiment d’être un immigrant, et de finalement faire partie de quelque chose d’assez énorme… Eh bien au milieu de ça, je me suis dis c’est bon Guilhaume, t’as 35 ans, arrête de voler tes légumes avec ton fils, arrête de pécho ton New York Times a l’aéroport et de partir sans payer ton kawa, arrête de voler tes sandwichs triangles quand t’es sur la route en France. Donc je me suis forcé, ça fait moins d’un an, et ça a été galère parce que ça faisait encore partie de mon quotidien grave. Payer mon fromage, je te raconte même pas comment ça me prend la tête maintenant.

H:

Justement, quel est ton sentiment vis-à-vis des US ? Passer d’Obama à un potentiel Trump, c’est pas abusé quand même ? Tu peux expliquer le processus en quelques mots d’obtention de la nationalité ?

GG:

Je suis américain, autant que je suis français, parce que je l’ai choisi. Je ne l’ai pas forcément rêvé ou voulu tant que ça, mais les démarches ont fait que je le suis et que je ca fait partie de moi maintenant. C’est un pays que j’aime beaucoup pour y avoir habité depuis 15 ans, sur les deux côtes. Je suis passé de clando à la carte verte, puis à la nationalité, c’est la logique là-bas. Je pense qu’il est difficile d’expliquer le sentiment d’un immigrant, tout le monde a un avis sur les US comme puissance impérialiste pour certains ou comme rêve d’un pays neuf et libre, où tout est possible pour d’autres. La réalité est forcément entre les deux. Trump, ça me fait bien marrer. On va avoir un clown qui va nous faire le show pendant la campagne, mais à la fin, il va perdre, donc ça n’a absolument aucune importance pour moi. Je suis passionné par la politique française perso, le systeme US et notre prochain président m’importent peu à vrai dire.

H:

T’habites où à NYC ? Ton ressenti sur la scène new-yorkaise actuelle ?

GG:

Je suis à Brooklyn avec ma famille, mon fils va à l’école a Chinatown, donc je me fais un coup de métro tous les matins, et je me prends un peu de vandale dans les yeux, sur le Manhattan Bridge, à Chinatown sur les toits.

New York, c’est une scène assez active en rue, mais ça efface généralement assez vite. La culture du graffiti sur métro est très peu visible et n’est presque plus du tout locale. Les mecs du cru ne font pas ou peu de métros, c’est un truc pour espagnols enragés et les Interrailers européens.

C’est quand même une scène assez active avec beaucoup de monde, c’est une ville qui attire encore beaucoup, du monde entier, donc il y a de bons groupes de sauvages qui viennent à New York pour tout chicoter pendant 6 mois, puis qui retournent à la maison. C’est un terrain de jeu assez kiffant. Les tunnels, les toits, les rues, et les métros pour ceux qui aiment ça, il y a de quoi s’amuser toute une vie.

H:

Et sur la scène de San Francisco à l’époque ?

GG:

Avec un peu de recul, c’était pas mal, il y avait les bus hoppers, l’équivalent des mecs de 15 ans à Paris qui tapent des intérieurs de métro toute la journée et quelques sauts de rails, avec un style assez naze mais bien à eux, en un trait. Puis, il y avait pas mal de bons flops, les MQUE, ADEK étaient présents assez tôt au début des années 2000, puis les MSK que tout les stylers trouvent géniaux, c’est des mecs qu’on croisait souvent. C’est une ville de fumeurs de joints, tout est cool, tout est calme, ça se ressentait aussi dans les styles.

H:

Tu restes un fan de train, le fait de le prendre ? Sa forme ? Le potentiel panel dessus ?

GG:

Je voyage beaucoup, et le train reste un de mes moyens de transport préféré. L’ambiance des rails, du métal, la tranquillité du wagon, c’est toute une ambiance qui a bercé mon adolescence et ma vie de jeune adulte, je peux pas m’en séparer comme ça. La première fois que j’ai déménagé a NYC, en 2003, j’ai pris le train depuis San Francisco. 4 jours, 3 nuits. L’envie de le peindre, plus trop à vrai dire, j’ai plus des envies de tunnels, d’endroits fermés, couverts, de dépôts intérieurs, ça m’attire, pas forcément le support lui-même.

H:

Toi à qui il arrive de passer par Philadelphie parfois, le style de Philly te parle en dépit du manque de lisibilité ?

GG:

Je descends à Philly assez souvent, au moins 4/5 fois par an. Je prends toujours le train, quoi qu’il arrive, je reste un fan de trains, et je regarde les tags toujours un peu, même si c’est pas trop défoncé sur ce trajet-là.

Le style de Philly, l’histoire, Cornbread tout ça, c’est un truc qui me cause bien. J’adore ce style tout en longueur, j’adore ce côté unique, ce style qui vient de quelque part, comme les brésiliens et le style pixacao. Bizarrement, comme les bus hopper de San Francisco, c’est comme le vin pour moi, un style qui vient de quelque part, c’est le respect d’une tradition, c’est l’évolution dans le respect du passé, je respecte ça énormément. Pour autant, j’ai grandi dans le tag parisien, où il fallait être lisible et reconnu, mais je pense qu’être vu, que ce soit un logo illisible ou des grosses lettres block, c’est plutôt une question de quantité. Maintenant, je vends du vin, je ne suis pas devenu graphiste ou designer, ça me parle de par mon histoire, ma relation au vandale, mais j’ai pas d’idée arrêtée sur le sujet.

H:

Donc, ce qui ressort, c’est une espèce d’inscription dans l’inconscient du public finalement où la cohérence ressort de la quantité et d’un style qui se distingue au premier coup d’œil au fur et à mesure du temps, en gros ?

GG:

L’idée du « tampon », oui. Comme quand MULDEE est arrivé avec son tag tout moche, personne savait ce que ça disait, mais les mecs savaient que c’était le plus gros chicoteur de tunnel du moment. AZYLE, c’est un peu la même idée, puis le style de Philadelphie, ça peut être super dur a déchiffrer, mais c’est quand même assez marquant, et à vrai dire, pour moi, assez magnifique.

H:

Comment tu rencontres le contact d’IDEAL ?

GG:

Sur la quatrième rue à San Francisco, ambiance « Vous êtes des gueurtas, vous », j’ai tout de suite su à qui j’avais à faire, on avait fumé un joint au-dessus des voies de Gare du Nord quelques années auparavant avec IDEAL. Par la suite, j’ai monté mon premier business avec lui, un bar à vin à San Francisco dont il est toujours proprio, moi je suis parti de San Francisco et j’ai monté une boîte d’import, mais c’est un mec avec qui j’ai eu des liens très forts, même si on se voit plus trop.

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Guilhaume, Luc Ertoran à droite et au centre Dagan Minestro, propriétaires de Terroir en 2008

H:

 « j’ai monté des boîtes à San Francisco, à New York… j’ai monté mon premier business avec lui, un bar a vin à San Francisco dont il est toujours proprio », je suppose qu’ y’a eu un feeling  qui est passé avec cette rencontre, c’est un ricain? Comment ça s’est déroulé pour monter ton business, notamment en termes de visa, je suppose que t’es arrivé avec un visa touriste de 3 mois… Tu peux détailler un peu après cette période difficile ? Et aussi, t’avais un passé par rapport au vin ou bien t’es vraiment parti de rien?

GG:

Super feeling avec LUKE, un mec du Kremlin-Bicêtre, la clique FORE, IDEAL, VEUZ, des gros fumeurs de joints, qui picolaient et allaient arracher des stations de malade, genre Gard du Nord, ils s’en battaient les couilles.

Le business est venu a cause de cette passion pour le pinard, qui elle même doit forcement découler d’un besoin de se rapprocher de la France. C’est au même moment que je me mets à écouter la musique que mon père écoutait, les Brel, Brassens, puis toute la pop française de ces années-là. J’étais loin, sans connexion directe, donc ma nostalgie m’a rapproché de mon pays à travers la culture, puis à travers le vin.

Et oui, je suis arrivé en visa touriste, puis je le suis resté un sacré moment, un touriste. Quand t’as pas de vraies responsabilités, que tu fais de la thune facilement sans bosser comme un dingue, t’as l’impression d’être en vacances tout le temps. Jusqu’en 2007, je suis en vacances en gros. Je fume des tonnes de zeb, je construis une collection de disques de malade, je sors, je vole, je voyage un peu, je m’éclate.

H:

Et plus précisément concernant le vin, un déclic ? Comment tu t’es mis à cette culture ?

GG:

Je me suis mis au vin par hasard. Quand je suis revenu en France pour la première fois en quasiment cinq ans, en 2005, mon premier repas était dans un resto rue de Charonne qui s’appelait « L’Amuse Vin » avec un groupe de copains qui étaient assez calés en bouffe et en vin. Des tagueurs pour certains, Romain de Kourtrajmé, quelques autres. Ce soir-là, j’ai bu un vin qui m’a causé, un Morgon de Jean Foillard sur le millésime 2002, puis un vin d’Auvergne de Stéphane Majeune sur la même année. J’ai pris conscience ce soir-là que j’aimais le vin pour la première fois, alors que ça faisait des années que j’en servais en restauration à San Francisco. Ce soir-là, j’ai décidé de bosser dans ce milieu, une espèce d’épiphanie si l’on peut dire.

J’ai passé les deux années suivantes à bosser dur pour ouvrir mon bar à vin à San Francisco. Je n’achetais plus de disques mais du pinard, ça a bien ralenti la collec’ pour quelques temps, je ne lisais que des bouquins sur le vin, je regardais des films sur le pinard, j’étais complètement obsédé. Puis on a ouvert « Terroir » le premier bar/magasin  de vin naturel en Californie en 2007. C’est à ce moment-là que ma formation a vraiment commencé. Je goûtais du vin tous les jours, j’étais toujours aussi obsédé, je rêvais de pinard la nuit, et je ne parlais que de ça toute la journée. Comme avec le graffiti ou les disques, mon côté obsessionnel et jusqu’au-boutiste a fait que je me suis fait un nom assez rapidement dans ce milieu.

H:

Une phase de nostalgie à une période donc que tu « combles » en passant par la musique ? Avant t’étais plus rap? Niveau son, ta collection regroupe un peu de tout outre la chanson française ou t’as des styles que tu préfères à l’époque? Et c’est quoi ce bon plan qui t’as mis bien sans bosser comme un ouf? Tu peux détailler un peu?

C’est pas vraiment de la nostalgie parce que je n’idéalisais pas la France plus que ça, mais j’avais un besoin de connexion avec mon pays je pense. Mais c’est venu un peu sur le tard ce truc de musique française, j’ai collectionné des trucs très différents avant ça. On a commencé par le rap quand on était en France -je collectionne les disques avec mon meilleur ami, Pierre, que certains connaissent sous le nom de « Delay » ou « General D »- puis en arrivant à San Francisco, je me suis mis a fond dans le jazz. J’ai acheté principalement du Blue Note et du Pacific Jazz des années 60/70 et des classiques de soul la première année. Puis on a commencé à acheter pas mal de disques rares en tout genre, on a fini notre collection de rap avec tous les classiques West Coast auxquels on avait pas forcément accès en France, Dre Dog, Mac Dre, encore quelques raretés East Coast, puis on s’est mis aux breaks originaux en 45 tours, tout les morceaux samplés, les sons sur « Ultimate Break Beats » que tout le monde recherche. Puis les Fela en originaux du Nigeria, puis on est rentré dans la House des années 80 de Chicago, la Disco New Yorkaise avec les prods de Larry Levan et tout ce qu’il y avait autour du Paradise Garage. J’ai fait aussi beaucoup de classiques rock, les Stones, Led Zep et tout ça, du rock indé plus moderne, j’allais voir beaucoup de concerts, et Pierre s’est mis dans le Reggae assez sérieusement, il recevait une petite cinquantaine de 45 tours via la Jamaïque presque toutes les semaines. C’est une collection très éclectique, qu’avec de la musique qui nous fait vibrer, et comme on est obsessif, on en a beaucoup et on continue chacun dans notre coin, mais on échange encore beaucoup là-dessus, on cause de son tout le temps tous les deux.

Le bar à vin, je l’ai ouvert en 2007 donc, en novembre, avant ça j’ai passé des années à faire le serveur dans quelques restos français entre San Francisco et NYC, où on faisait quand même pas mal de pognon sans trop se faire chier. On bossait bien et beaucoup, mais c’était une ambiance sympa, principalement entre potes (ACE, Delay, LUKE, MIER et pas mal d’autres sont passés par-là).

H:

Enfin, tu peux citer tes crews et nous dire si t’es resté en rapport avec des gars/meufs de l’époque?

GG:

Pas de crews importants vraiment, j’étais dans un groupe de cailleras de la ZUP a Nîmes je me rappelle même plus ce que c’était, puis on montait et démontait nos propres groupes nuls au fur et à mesure des rencontres. Puis je suis rentré ADK, ce qui à vrai dire ne me fait ni chaud ni froid aujourd’hui, mais il y avait des potes, des mecs que j’aimais bien.

DONAS m’avait démasqué assez rapidement, on était dans le même lycée pro un/deux ans avant et on a commencé à bouger ensemble avec lui, THER, MAN, NOISE, et c’est venu assez naturellement, j’étais très chaud et je motivais pas mal les mecs, eux me montraient les ficelles, les plans bombes de peinture etc. Un jour, ils m’ont dis vas-y, pose le groupe.

21593-graffiti-donas-rock-2006-paris-gare-saint-lazare-MaquisArt.com

DONAS-ROCK

Je suis plus en contact avec grand-monde si ce n’est MIER du groupe. Sinon je suis toujours en contact avec STUPE MPV qui est un pote d’enfance, puis j’ai habité longtemps dans la même ville que LUKE et d’autres membres donc on se voyait souvent, mais je suis à New York maintenant, loin de tout ça.

H:

Rapport à ton fils, t’as une idée de ta réaction s’il suit tes pas vu la profusion de graff à NYC ?

GG:

J’espère qu’il trouvera quelque chose de moins dur, quelque chose de plus facile à traduire dans sa vie d’adulte. Aux US, c’est quand même très répressif, j’aimerais pas voir mon fils avec les menottes, même si j’ai passé suffisamment de temps en garde à vue dans ma jeunesse. Y’a mieux, s’il pouvait faire de la musique, ça me ferait moins chier, je pense.

H:

Dernière question sur le choix du nom ; pourquoi Selection Massale ?

GG:

Tout les importateurs, ou presque, utilisent leurs noms, suivi de la mention « Selection ». On voulait enlever ce côté personnel de notre démarche, on représente des vignerons, des fermiers, pas nous même. Selection Massale est une technique de plantation qui favorise la diversité du matériel végétal en refusant d’utiliser un clone plus qualitatif, ou quantitatif, et c’est une des nombreuses façons de faire des vins de meilleure qualité.

Sources photo: Maquisart.com, http://ediblesanfrancisco.ediblefeast.com/ et http://www.glougloumagazine.com/ et G. Gérard
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