Traduction de l’interview de J. Marcelo pour « the graffiti review »

Plutôt que de parler de la bouse réchauffée sensationnaliste sans intérêt de Brut, je suis revenu à mes premières amours, à savoir la traduction. Ca faisait vraiment longtemps. Autant je connaissais les pixacaos de nom, autant je ne savais pas qu’il y avait une différence entre Rio et Sao Paulo au Brésil en termes d’esthétique sur le sujet. Bonne lecture.


Récemment, depuis le Brésil, j’ai reçu un livre un peu insolite intitulé XARPI qui se focalise sur la culture du tag propre à Rio de Janeiro. L’auteur du livre, João Marcelo a réalisé une brillante typologie des xarpi, la variante des pixacao que l’on trouve dans sa ville natale. Marcelo est graphiste, sorti diplômé de la faculté de la ville en dessin industriel en 1998 et il a consacré les huit dernières années à archiver les xarpi dans chaque recoin de Rio. Ce style de graff étant peu connu de ce côté du globe, j’ai décidé d’en savoir plus concernant la genèse du projet, ce que sont exactement les xarpi et d’où sort le livre.

Petit, j’ai été un pixador, mais sans devenir un grand nom, ce n’était pas ma priorité. Être reconnu dans le monde des pixacao est un vrai sacerdoce. En 1980, quand les pixacao sont apparus, je vivais à Rio dans le quartier de Vila Isabel. C’est un des quartiers où les pixacao ont été créés. J’avais 6 ans et j’apprenais à lire et écrire. A l’époque, c’était vraiment les débuts et les pixacao étaient complètement lisibles. D’une certaine façon, j’ai appris à lire en voyant ces graffitis. Un de mes voisins, le grand frère d’un ami, était déjà un pixador reconnu à l’époque et c’est ce qui a attiré mon attention si tôt.

En 1982, à huit ans, on a déménagé dans la zone voisine de Tijuca. C’est un des endroits parmi lesquels les pixacao se sont développés à Rio et à l’époque, le principal lieu de rencontre des pixadores était le square Saens Pena. Depuis, j’ai toujours suivi le mouvement pixo à Rio de près. J’ai aussi suivi l’apparition du street-art qui a suivi. Il y avait vraiment peu de publications à cette époque, mais je me débrouillais toujours pour récupérer des magazines sur la scène graffiti de Sao Paulo qui émergeait et qui était plus active. Je courais aussi après les imports US et européens. Ce n’est que plus tard, une fois à l’université que j’ai commencé à collectionner des livres importés sur le graffiti et l’esthétique des rues. J’y ai toujours prêté attention dans ma ville. J’ai donc été en prise avec l’univers de la « street » depuis tout jeune.

Xarpi est le nom donné aux pixo à Rio de Janeiro. C’est une inversion du mot pixar dans la langue des pixadores de Rio et inventé par les pixadores du quartier de Catete. Cette langue est connue comme la « Gualin de TTK » (du mot lingua en portugais brésilien, la langue, un équivalent du verlan) dans laquelle les syllabes sont interverties.     

Le mouvement  xarpi est composé de nombreuses éléments. Les Xarpi, ce sont les tags, les pixo, et ça peut inclure les initiales d’un crew. A Rio, les pixador veulent d’abord la fame individuelle, puis celle de leur crew, la « Sigla », l’acronyme du crew. Nombreux sont les gens à rapprocher pixacao d’un côté et logos de heavy-metal et gratte-ciels de l’autre. De leur côté, les pixo de Rio, ont une estéthique calligraphique unique, différente de celle que l’on trouve à Sao Paulo. Ses formes sont sinueuses, ondulent, très certainement influencées par la géographie de la ville, barrée par des collines abruptes. Ca fait quarante ans aujourd’hui et le mouvement  xarpi continue, de façon plus ou moins intense, omniprésent dans la ville. Les calligraphies présentes dans le livre XARPI sont ceux de la première génération de pixadores de Rio. Ce style calligraphique a subi des mutations. Aujourd’hui, les tags (lettres, pixos, xarpi) de Rio ont une esthétique différente. Le mouvement xarpi a évolué ».

Un jour, je buvais des bières et discutais dans un bar avec un ami, Clecio Freitas (Clecio est crédité dans le livre pour ses travaux de recherche sur le projet). On se remémorait les pixacao qui existaient à Rio, les références du mouvement à l’époque. Clécio était aussi un pixador, quand il était gamin et on avait même fait des pixacao ensemble dans le passé. C’est dans ce bar, qu’il a eu l’idée d’un livre lié à ces souvenirs. Il m’a persuadé, qu’en tant que graphiste, j’avais suffisamment de savoir-faire pour aller au bout du processus. Clécio me rappela aussi que ces pixacaos seraient effacés d’ici peu (la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques devaient avoir lieu dans la ville de Rio) et qu’il fallait que l’on documente ça rapidement d’une manière ou d’une autre. Et de fait, les pixacao de cette époque furent effectivement effacés. Cette conversation me persuada de faire ce travail d’archivage. C’était un samedi et le dimanche, on était dehors à photographier les pixacao partout dans Rio.

On a commencé à prendre des photos en 2005. On a quadrillé presque chaque quartier de la ville. Fait intrigant, en commençant à prendre des photos, on pensait qu’il y aurait environ 300 pixadores reconnus. Après un moment, on s’est rendu compte qu’il y avait plus de 1200 pixos importants. Les gens dans la rue trouvaient ça bizarre de nous voir prendre des photos. Ils supposaient que les gens qui avaient faits ces pixos devaient être les mêmes que ceux qui les photographiaient. Les gens n’aimaient pas ça, réagissaient négativement et avec hostilité quand ils nous voyaient prendre des photos. Il fallait vraiment faire attention. Après avoir regroupé plus de 1400 photos, il était temps de concevoir la maquette du livre.

Je pense que c’est important de documenter un phénomène qui a 40 d’existence sans interruption et avec une esthétique veritable. C’est un témoignage sur la première génération de pixadores de Rio de Janeiro. Je crois que le pixacao a toujours été un exercice de style créatif, à la fois brut et sauvage, sans recherche préalable. C’est une esthétique singulière créée dans la rue et étalée dans la rue elle-même. Les seules personnes à comprendre ce langage sont les gens impliqués dans cette pratique et ce, sans acceptation de la part de la société. Notre but est de laisser un témoignage marquant des pixacao à Rio. C’est important que les traces de la première génération de pixadores soient compilées visuellement quelque part. On croit fermement qu’une pratique qui a fédéré tant de jeunes mérite une forme de documentation.

On a eu, les gens de mon âge et moi, le privilège d’évoluer dans un monde analogique et de migrer vers un monde numérique. Bien que cela soit bien plus cher à produire, je pense que les livres physiques perpétuent mieux l’information. Ca a pris du temps pour réunir l’ensemble de l’argent nécessaire à l’impression. « XARPI » est un projet totalement indépendant. Je suis un fervent collectionneur de livres, donc mon opinion est peut-être biaisée, mais je pense que les médias numériques permettent la production et la publication de contenu très rapidement, mais ce dernier disparaît à jamais aussi vite. Il est éphémère. Les album-photos physiques dans la maison de ma grand-mère sont encore là aujourd’hui avec des photos des années 50, 60, 70 et 80. Elles sont où tes photos d’il y a 5 ou 10 ans ? Rires.

On a déjà des idées pour une future publication, mais le nom ne sera pas XARPI 2. Rires. Ce sera un plus petit livre et moins compliqué. J’espère qu’il y aura une nouvelle version en anglais pour que les puristes de graffiti en Europe puissent la lire !   

L’article original en anglais ici.

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Entretien avec Cyanurz, coauteur du livre Spotter

Entretien avec « Cyanurz », coauteur du livre Spotter

Hélaire:

Une bonne session de « spotting« , ça se résume à quoi ?

Cyanurz:

Quand tu vois des belles pièces et que t’as réussi tes photos. Et d’ailleurs même si tu vois des belles pièces avec des photos ratées, ça le fait aussi. Evidemment la base, c’est prendre des photos, mais c’est aussi voir des pièces tourner. Si j’ai commencé à prendre des photos, c’était aussi parce que j’avais envie de voir des pièces. C’est l’intention qui donne la raison on va dire.

H:

Donc pas de focale automatique, du moins à la fin ?

C:

Au tout début, j’ai un peu fait au téléphone, c’est comme ça que je me suis remis dedans. Puis, j’ai eu un petit compact ou je faisais quasiment tout en auto, parce que c’est pas pratique avec ce genre d’appareil et après, j’ai ressorti un Réflex vieux de quinze ans et là-dessus, tu fais en manuel. C’était surtout pour l’extérieur, vraiment cool le Réflex, au téléobjectif pour les photos de la 6. J’en ai fait beaucoup avec. Et j’en ai faits aussi en intérieur, avec un objectif grand angle .

H:

C’était pas trop dur en intérieur ? Notamment en termes de luminosité.

C:

Si, en intérieur, c’est super dur, notamment avec le teint un peu jaunâtre des stations qui aide pas, et surtout sur le grand angle, c’est le réglage de la focale qui est super dur, mais là on est dans le délire de la photo pure, quoi. Peu importe l’objet, si c’est mal réglé, ta photo va être ratée.

H:

T’as donc affiné ta pratique de la photo que ce soit en termes d’appareil ou de réglages au fur et à mesure finalement ?

C:

Tout à fait. J’avais déjà une petite base, mais vraiment très amateure, même pas éclairée. Genre des photos de vacances, etc. Ce qui est clair, c’est que le délire de me balader avec un ou deux appareils photo sur moi, c’est le spotting qui m’a mis là-dedans. A l’origine, y’avait pas la finalité du print. Donc je shootais pour garder une trace et c’est aussi ce truc-là qui est revenu. J’ai pas cherché à spotter pour spotter, c’est juste que y’avait des peintures qui passaient donc j’me suis dit que ce serait vraiment dommage de pas garder une petite trace, même avec l’appareil du téléphone. Et après, c’est de l’engrainage, donc tu passes au compact, tu prends des photos un peu plus cools, t’es content. Après, tu fais un test d’impression et tu vois que en A4, ça rend super bien…

Au début, j’ai beaucoup imprimé ce que je prenais au compact, du fait du volume de photos qui était pas encore énorme, donc ça pouvait suivre. Je prenais des photos, j’allais dans un truc de repro’ tenus par des indiens, donc ça me coûtait que dalle. Je faisais mes petits prints, j’étais content. J’en offrais aux copains. Je mettais ça sous cadre.

H:

A Bercy, ça t’es arrivé de cadrer grâce aux lampadaires du pont ?

C:

Tu peux les utiliser, mais en fait, un moment j’me disais « si y’a pas de lampadaires, la photo est mieux » mais parfois, quand y’a un lampadaire, ça rajoute un élément. Evidemment, quand il est en plein milieu de la pièce, c’est relou. Mais ça peut quand même passer. Y’a pas vraiment de règles. Mais en termes de cadrage, j’me mets en 70-75mm avec le téléobjectif et de là, je peux shooter le wagon comme j’ai envie de le shooter. A Bercy, le spot est cool, y’a un petit support, tu peux poser tes affaires. C’est trop bien, limite fait pour !  Depuis la passerelle, j’mets le zoom à fond ; et ça bouge, c’est pas évident de là-bas. Après, quand il fait beau, franchement, les photos elles tuent. Je l’ai pas fait assez, mais je vais me refaire des sessions que de là-bas, pour avoir la photo carte postale quoi. Bon après, si t’es chaud, t’investis sur encore plus de zoom.

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Aux amoureux de la 6

H:

Vous avez retouché un peu les photos ou bien, c’était la qualité « originale » de la photo qui primait et que vous avez cherché à rendre ?

C:

Y’a eu de petits recadrages de photos, notamment sur les double-pages. Après, au niveau de l’image pure, je suis pas certain, on en a discuté avec Death Vallée (coauteur du livre, n.d.l.r.) et je pense que ça se voit aussi, y’a des photos qui sont un peu plus sombres, d’autres bien lumineuses. J’pense que les photos sont brutes par contre. C’est un choix, histoire de garder le jus du truc.

H:

Le réseau parisien est vaste- seize lignes de métro-, pourquoi s’être focalisé uniquement sur les lignes 3, 6 et 7 ?

C:

J’aime bien garder la démarche « que ca vienne à moi » plus que je ne creuse le truc. Mis à part la 6, qui n’est pas du tout une ligne de mon trajet quotidien, les deux autres lignes, je les emprunte vraiment tous les jours. Je voulais garder ce côté spontané, ultra-spontané. Et la 6, c’est après en avoir entendu parler, vu de l’extérieur, des gens que je croise, mes copains, etc. A un moment, fallait aller voir et la 6, c’est unique ce qu’il y a eu. J’crois que y’a eu une vague dans ce style y’a deux-trois ans, mais de ce que j’ai vu pas d’une telle ampleur, quand tu vois passer les graffs trois, quatre, cinq, six fois. Le volume était complètement dingo. A un moment, si t’es intéressé par le sujet ou par cette culture, t’es obligé d’aller voir. Pour moi, la peinture sur mur, c’est cool, mais la peinture sur trains, c’est un autre niveau encore. Je sais que ca tourne sur d’autres lignes aussi hein, mais la 6 a ce côté aérien et puis faire des photos en extérieur au téléobjectif sur un truc en mouvement, c’est assez cool. Y’a une satisfaction derrière quand la photo est bien réussie. J’ai tout fait appareil en main, pas au trépied. Pour moi, une photo bien réussie, c’est arriver à prendre le wagon bien cadré naturellement. Ce que je cherche, c’est le wagon complet, bien cadré, bien aligné, bien sur la photo. C’est ça que je voulais bosser et quand t’arrives à shooter proprement les cinq wagons qui passent, franchement, les quelques fois où c’est arrivé, c’est vraiment cool.

H:

T’as une ligne de métro préférée à Paris ?

C:

J’crois pas avoir une ligne préférée. J’aime bien les trains, les modèles de train. Je vais pas pousser le vice jusqu’à connaître les numéros de série par cœur comme certains. J’connais un peu les modèles de métro on va dire. Les MP73, MF77 etc. Ce qui m’a marqué quand j’étais petit, c’était les photos de New-York avec les modèles très particuliers de NYC, c’est ce truc-là qui m’a choqué avec la peinture dessus et on retrouve encore un peu ça à Paris avec les anciens modèles. C’est clair que la 6 en extérieur, c’est joli, avec les ponts et tout, c’est trop bien. Pour autant, le modèle de la 7, je le trouve super beau, y’a un truc avec ce train octogonal bizarre.

H:

T’évoques le partage de certaines « techniques » de spotting, tu peux donner un ou deux exemples ?

C:

Tu peux utiliser l’application CityMapper. Tu te mets un trajet ligne 6 d’un point A à un point B devant lequel les métros vont devoir passer pour avoir le timing du prochain métro à Quai de la Gare et à Bercy. Et l’appli’ te dit quand y’a un train, donc tu peux te réveiller et ça marche hyper bien. Et c’est aussi un truc qui est pratique parce que quand tu vois que le rythme des métros diminue, par exemple à l’heure du dej’, tu te casses. Donc, ça m’a bien aidé.

Sinon, quand tu mattes un peu les infos de ta photo, t’as le réglage du téléobj’ qui est sur la photo, donc c’est comme ça que tu peux connaître ton cadrage. Même si je l’ai pas en live, je le sais qu’après, c’est un marqueur et ça marche super bien aussi. Et quand un métro arrive, je me mets en 70 ou 75 mm et comme ça, j’ai pas besoin de changer la bague. C’est l’expérience qui parle, t’en viens à prendre des réflexes comme ça. Un téléobjectif 400 mm, c’est 1000 euros, donc ca commence à devenir sérieux. Mon boîtier coûte 200 balles en comparaison. Sur du matos d’occas’, tu peux avoir des trucs très très corrects. Après, si t’es à fond dans le délire…

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Dans le salon

H:

T’as un panel/peinture préféré, parmi ceux que t’as pris en photo ? Outre celui qui trône dans ton salon.

C:

Celui-là forcément, je l’aime beaucoup. J’aime bien le côté quali, le côté wholecar. J’aime bien la photo aussi. J’aimais bien le « DIMER » sur la 7. J’aime bien le côté coloré, end to end. Quand je l’ai vu, il m’a vraiment choqué. Mais, y’en a beaucoup qui sont même pas dans le bouquin, parce que c’était un peu 2020 ou parce que c’est des photos ratées. J’aborde un peu les pièces qui passent et que j’ai ratées. Tout n’est pas dans le bouquin sur l’année 2019. Mais parce que le cadrage était pas bon, ou bien la photo était ratée ou autre, une photo apparaît pas dans le bouquin…

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Dans le bouquin

H:

Y’a des spotters qui apparaissent physiquement dans le livre ou des potes ?

C:

On s’est posé la question, mais non au final. Si jamais y’avait dû y avoir des gens, ils auraient été hors graff. On a un peu regretté les private jokes avec quelques tronches … Je t’avoue avec quelques potes… on s’est dit : on aurait pu taper le vice de mettre des gens qu’on connaissait. Mais le délire du graffiti, je suis pas dedans, même si je connais encore deux-trois mecs qui peignent. Et tous mes potes qui sont pas du tout dans cette culture-là comprenaient pas trop… Ils me disaient : « mais, mec ! qu’est-ce que tu fais ?! » Par exemple, le pote qui shoote la couverture, c’est un gars qui a rien à voir avec le truc, même si on est dans le délire du hip-hop, un délire de mecs des années 90, donc forcément ça nous parle… Lui est venu une fois ou deux avec moi, parce que j’lui avais dit, « mec faut que tu viennes voir, franchement c’est fou, quoi ». Et il est venu une ou deux fois sur la 6 et il a kiffé le délire. Je shootais à l’appareil, lui prenait des vidéos, on se tapait un bon délire. On s’est posé la question de savoir si on faisait une couverture avec une mosaïque à la Subway Art. Et puis, finalement, on en a rediscuté avec Death Vallée et on trouvait cette photo super cool. Et de tout le livre, c’est la seule photo que j’ai pas prise. Et c’est chouette pour mon pote que ce soit cette photo qu’on ait pris pour la couv’. On en rigole avec lui parce qu’il l’a prise comme ça, pendant qu’on se tapait des barres au soleil. Et finalement, ça fait la couv’ d’un book, donc franchement, c’est trop cool. Y’a ce côté anecdote qui va avec.

H:

Y’a des détails marrant, genre le gars qui fait un dab par ex…

C:

Ouais, c’est un p’tit qui m’a vu et sur le moment, j’l’avais pas vu. Et c’est après en mattant la photo, parce que en fait sur le moment, je comprenais pas pourquoi ils rigolaient… Et moi, je shootais la pièce normal quoi. Et en fait, après, j’ai vu qu’il a tapé le dab.

H:

T’abordes la question des réactions des gens quand tu prends des photos et notamment des conducteurs où y’a deux écoles, ceux qui sont ok avec les graffs et au contraire ceux qui n’aiment pas ça… T’as des gens qui sont venus te demander ce que tu faisais spontanément autrement ?

C:

C’est une question de mentalité, j’pense. J’peux comprendre qu’un conducteur ait pas envie d’être pris en photo. J’essaie de faire attention quand même. Mais même une photo où y’a des gens… si y’a un mec qui fait vraiment une tête chelou sur la photo, pour moi elle est ratée. Une photo de gens réussie pour moi, c’est une photo où personne ne regarde l’objectif. Y’en a quelques-unes des comme ça. Ca pour moi, c’est bon, c’est validé. Quand quelqu’un regarde, si c’est une personne ou deux, ça passe. Y’en a une ou deux comme ça, notamment avec une nana. Ca passe aussi parce que y’a le côté surprise.

Sinon que les gens viennent me parler, c’est arrivé hyper rarement, deux-trois fois pas plus. Les gens comprennent pas trop en fait. T’es là, tu prends des photos. Et puis, ils sont dans leur délire, ils rentrent chez eux, ils commutent. Ils s’en foutent de toi, quoi, tu vois. Ca m’est arrivé de capter les mecs qui sont dans le truc sur les quais par contre. Pour autant, j’aime bien être discret.

H:

T’aimes pas le côté intrusif…

C:

… on en a parlé d’ailleurs en off avec Death Vallée. Y’a des gens que tu reconnais clairement, donc vu l’époque, la privacy, c’est quand même important. Où ça commence et où ça s’arrête, je pourrais pas te répondre.

H:

T’estimes que y’a eu un tournant décisif dans la création du bouquin ?

C:

C’est mon pote qui a poussé l’idée après une discussion, vu qu’il est là-dedans, dans l’édition de bouquins. Il m’a dit : « mec, tes photos tuent, y’a trop de panels, ça tue, arrête de poster » (N.d.l.r. sur Instagram)… Pour Death Vallée, c’était important que ce soit pas qu’un livre de photos et c’est lui qui a poussé ce concept-là pour que des textes viennent compléter les photos et diversifier la lecture globale de l’ouvrage. On a un peu regretté de pas pousser le truc plus loin en termes de textes. S’élever de la photo ou du graffiti en tant que tel et voir tout ce qu’il y a derrière, à savoir le fait d’attendre les trains, de rester à un endroit pour voir passer des graffitis, documenter ça. Aborder tout l’écosystème de gens qui prennent des photos sans faire de peintures, les gens qui font des peintures ET prennent des photos, t’as aussi les mecs qui font pas de photos et qui mattent les graffs. T’as un peu toutes les vibes dans ce truc et faut les respecter. Ca reste qu’on le veuille ou non une culture underground sans jeu de mot avec le métro ! Ca reste un truc très très underground, même si le street-art a pignon sur rue maintenant.

H:

Pour ce qui est des photos sur Insta’ ou sur le Net de façon générale, t’as peut-être pas non plus envie de voir tes photos tomber quasiment dans le domaine public non plus…

C:

Y’a plusieurs trucs… Le fait de les garder pour soi, c’est clair que c’est important. D’ailleurs, ces photos, c’est aussi de l’archivage perso. Pour les métros, je sais que y’a des mecs qui veulent pas que leurs photos tournent. J’ai posté les photos des touristes, s’il est français, je vais pas me poser la question, s’il est parisien par contre, probablement que je posterais pas. Et ça, c’est aussi une question de connaissance du milieu, parce que ça reste de la peinture illégale, faut respecter ça. Je crois que l’important, c’est de ne pas poster de manière frénétique et faire attention à ce que tu postes. Mais ça c’est le support et la nature de la photo qui veut ça. T’as pas cette réflexion-là quand tu prends des photos de voiture sur le périph’.

H:

Justement, parlant peinture, t’as été jusqu’à faire du roulant ?

C:

Oui, un petit peu. Quand je matte des panels, je retrouve probablement une part des sensations qu’on avait à l’époque quand on spottait pour matter nos pièces. Y’a ce côté où tu mattes des pièces quoi. Mais j’ai fait beaucoup plus de spotting là, que quand je faisais de la peinture.

H:

T’aimes encore peindre ou plus du tout ?

C:

Non, j’suis plus du tout dedans. La dernière fois que j’ai fait un graff, c’était y’a 5-6 ans, en terrain. Mais à un moment, soit tu lâches tout et tu vas dedans, même si les mecs autour de moi, le faisaient, moi j’ai pas eu envie. J’avais mon taf qui commençait à être sérieux. Et ayant quand même un peu foiré mes études, j’ai eu la chance de trouver quelque chose de bien, à un moment, j’ai été pragmatique. Pour autant, parfois, j’me demande si tu peux faire du spotting en ayant jamais jamais peint.. peut-être que y’en a. Y’a aussi une certaine logique, ça peut pas tomber du ciel non plus. Y’a peut-être aussi un truc qui m’est revenu, de prendre des photos telles que j’aurais aimé les voir. Y’a ce truc un peu bizarre de vouloir écrire ma part de l’histoire, garder une trace même si à l’origine il était pas question de bouquin. A la base, c’était vraiment shooter pour shooter. Faire du stock, partager aux copains.

H:

Revenons-en au spotting, lors de tes sessions, qu’est-ce qui faisait que tu arrêtais ?

C:

La nuit. Même si j’ai tenté de shooter de nuit, franchement c’est super dur. J’aurai peut-être dû persister. J’aurai bien aimé réussir à faire des shoots de nuit. Je pense que j’essaierai un de ces quatre.

H:

Comment t’envisages le truc, surtout quand le soleil se couche ?

C:

Je pense que tu galères. Tu vas en rater plein et t’en auras peut-être une qui sera belle. Peut-être. Pour autant, je pense que c’est faisable. Tu peux réussir à avoir une pièce nette de nuit. J’te le dis, parce que j’ai déjà eu un métro net de nuit. Avec une bonne config’, je pense c’est possible et vu que c’est pas très commun, ça pourrait être cool. C’est aussi une façon de se démarquer dans ta façon de shooter.

H:

Donc, ce serait une sorte de challenge si je te suis bien, y’a d’autres choses que tu voudrais essayer ?

C:

Faire une session de nuit donc, voir comment et si ça rend. Et sinon continuer de shooter, mais là, vu qu’on a sorti le book, je serais peut-être un peu moins dans le truc monomaniaque de se dire, je veux toutes les pièces qui tournent. Peut-être se concentrer sur de la vraie belle photo, bien bien zoomée. C’est cool d’avoir une belle photo bien centrée sur le wagon comme dans les livres américains, mais quand t’es vraiment sur la pièce, tu peux arriver à shooter des visages de gens, ce qui est cool aussi, y’en a quelques-unes comme ça dans le livre. Et la pièce ressort beaucoup mieux qu’en station je trouve. J’me l’explique pas vraiment, c’est peut-être le fait que ce soit en mouvement, ou que y’ait plus de lumière. Mais je trouve les photos beaucoup plus belles en extérieur sur les ponts, c’est dingue.

H:

Si je te suis bien, du fait du caractère nécessairement éphémère des pièces, on sent que y’a aussi une urgence à capter ce truc avec des échéances très courtes en matière de graff, mais aussi parce que sur la fin tu sais que tu vas devenir père et qu’en termes de disponibilité, ca va être plus difficile…

C:

Oui, ça a clairement motivé les grosses sessions que j’ai faites sur les trois-quatre derniers mois de 2019. Profiter de la disponibilité personnelle que je pouvais avoir à ce moment-là, même si j’peux encore trouver du temps pour spotter encore, c’est pas parce que t’as un gamin que ta vie est finie… Au début, c’est clair que c’est un peu compliqué, parce que tu laisses pas ta femme en galère avec un petit, c’est juste pas cool.

H:

Par rapport à ton fils, quelle sera -tu penses- ta réaction s’il suit tes pas dans la peinture?

C:

Il fera ce que bon lui semble, mais j’ai d’autres perspectives pour lui.

H:

Y’a une photo où j’ai eu l’impression que t’avais utilisé un fisheye, qui a notamment connu ses heures de gloire dans les vidéos de skate à une époque… J’me trompe ?

C:

Non, c’est le grand angle ça. Y’a aucune photo au fisheye. J’ai un peu essayé. Déjà au grand angle, tu déformes un peu. Pour autant, j’ai un objectif fisheye et j’ai fait un peu de photo de skate ou dans la street avec. Mais, je voulais tester le grand angle, ca a été un véritable choix ; je voulais essayer, voir ce que ça rendait. Et franchement… c’est super dur. Y’a plein de photos ratées, floues qui sont pas dans le bouquin et y’en a une ou deux, quand je les vois, j’suis un peu dégoûté parce que quand tu shootes t’es content, c’est bien, mais quand ta photo est ratée, tu prends la double crampe. Sur la photo en question, en plus, le métro est en train de partir, elle est bien sortie. Et franchement, c’est de la chance. Y’a une part de chance.

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La photo en question

H:

Y’a une finalité esthétique par rapport aux photos que t’as pu prendre ?

C:

Je suis pas assez bon en photo pour me dire, je vais utiliser telle technologie pour tel train… tel objectif, parce que je veux tel rendu. J’en suis malheureusement pas à ce niveau-là de photographie. Ca reste quelque chose de spontané. J’me dis allez aujourd’hui, j’me fais une session en grand angle et on voit ce que ça rend. Prendre des cours de photo, je pense on te dégrossit beaucoup de choses, mais je pense qu’il faut que ça reste spontané et t’apprends en pratiquant, y’a pas de mystères. Mais c’est aussi en imprimant tes photos en grand, en les voyant au-delà d’un écran, que t’apprends des choses. C’est clair que quand au grand angle, t’arrives à pécho le plafond de la station, la petite lumière bleue qu’il y a comme à Gambetta que t’aurais pas eu en 35 ou 50mm; là, tu te dis c’est cool. Et à contrario, y’a des photos grand angle où tu te dis, c’aurait été mieux en 28 ou en 35mm. C’est en faisant que tu prends des réflexes. Mais c’est aussi en trouvant des spots intéressants qui rendent bien en photo, que tu te dis, là je fais cette démarche pour le shooter à cet endroit comme ça, parce que j’aurai ça, ça et ça.

H:

Donc une bonne photo se résume pas qu’à la peinture.

C:

C’est clair, c’est un ensemble de détails. Dans un premier temps, t’essaies de prendre la pièce en photo bien droite, et puis si je sais que j’ai une photo de la pièce bien réussie, je m’amuse. Y’a aussi une forme de liberté, selon que y’ait des gens sur le quai par exemple. Mais la base c’est une photo comme dans les bouquins que j’ai vus quand j’étais petit.

H:

Tu dis que t’as fait un peu de photo de skate et du skate, tu skates encore ?

C:

Depuis la naissance de mon fils, non. J’ai fait quelques photos de skate, c’est tout. Là, c’est compliqué avec le confinement, j’ai même pas été faire de photos des rues vides. De t’façon, vers chez moi, elles sont pas vides, y’a des gens. Là, avec le confinement, j’ai autant de taf, sinon plus, mais j’suis à la casa avec le kid donc c’est grave cool. Donc , j’en profite au final.

H:

C’est l’effet positif du confinement ?

C:

Je fais du spotting d’enfant ! Pour en revenir à la question du skate, j’en ai fait petit, j’ai dû arrêter vers 20 ans. Là, j’ai basculé un peu dans le délire graffiti. Et après, j’ai repris le skate vers 30 ans. Donc quasi 10 ans de pause. Et là, j’en refait depuis six-sept ans. C’est clair que quand t’en refait a 35 piges, c’est plus pareil qu’ à 15 piges. Mais on s’est fait une petite clique de trentenaires-quarantenaires qui font du skate. On était super déterminés, je m’y suis remis à fond. Et ça me permet de faire du sport, ce qui me fait du bien. Et puis tu passes du temps avec les copains, tu t’amuses solo avec ta planche, c’est assez complet, je trouve.

H:

T’as un trick préféré ?

C:

En fait, quand j’ai repris je savais même plus faire de ollie. Tout était parti. Je savais juste bien rouler sur mon skate. Faire des descentes, etc, pas de problèmes. Donc, j’ai repris à zéro quasiment et j’ai appris le switch en même temps. C’est un peu bizarre, mais j’essaie d’être aussi bon en normal qu’en switch. Je fais du flat, mais je suis vraiment pas fort et vu que j’me suis beaucoup blessé aussi… J’me suis fracturé le gros doigt de pied, des entorses aux poignets, aux chevilles, fêlé le coccyx sur un flip alors que c’était une figure que je maîtrisais bien… Et du coup, c’est mort maintenant, grosse barrière psychologique sur le flip. Et là, c’est vraiment la double frustration, parce que tu sais que tu maîtrises le truc, mais que ça peut ne pas pardonner. C’était après une session de 4 heures de skate, donc très fatigué, tu retombes sur le cul et là, c’est deux mois d’enfer, mais pas de regrets. Maintenant, j’me fais des petits grinds en switch, je kiffe.

Y’a un truc assez proche entre le skate et le graff, tu mets ce que t’as envie de mettre dedans et tu fais un peu ce que t’as envie. C’est une initiative personnelle, ou collective, y’a une forme de liberté qui est assez similaire. Tu peux aussi avoir des amendes en faisant du skate, juste parce que tu skates sur un trottoir, beaucoup moins maintenant, mais y’avait quand même un côté illégal à une certaine époque. Les spots qu’on faisait pas mal, c’était les curbs d’Oberkampf, le boulevard Richard Lenoir, j’devais avoir 16 ans. Et c’est un peu comme dans le graff, on a pu faire les bassins de la Tour Eiffel l’été 96 ou 97 qui étaient vides et ça, c’est clairement le spot mythique, mythique, mythique. Ambiance de dingue, t’es sous la Tour Eiffel, tu fais du skate. Le Dôme, c’était magnifique aussi, niveau archi… Le marbre était nickel. Du skate plein soleil.

H:

Aujourd’hui, tu skates où ?

C:

En banlieue. Ils ont construit plein de skateparks un peu partout, donc plusieurs comme ça. Ca m’arrive de passer à République, mais j’suis très vieux et les jeunes sont très forts, mais la place de la République est cool pour ça et ça aurait été bien qu’on l’ait à l’époque, plutôt que de mettre des amendes et foutre des anti-skates partout. On voit clairement le changement de mentalité et c’est bien que y’ait plein de mecs… et de meufs – parce que y’a plein de nanas aussi- puissent skater comme ça à Répu.

H:

T’as des souvenirs de choses hip-hop à la Tour Eiffel et au Trocadéro d’ailleurs ?

C:

Non, j’étais trop petit. Les trucs dont je me rappelle par contre, c’était les punks aux Halles. Je devais avoir dix ans, fin des années 80, début 90. Moi, j’ai vraiment accroché sur la peinture, pas tellement sur la danse.

H:

Quand tu te casses le coccyx, t’as eu une période d’arrêt, ça t’a permis de sketcher ?

C:

Non, quand j’me casse le coccyx, c’était une période où j’arrête de peindre petit à petit et je skate de plus en plus, c’est venu contrebalancer ça, donc pas du tout.

Mais avant, je sketchais tout le temps. Au début tu pompes les mecs, tu prends Kapital et tu refais les sketchs. Et après, j’ai essayé de faire des lettres plus « normales », c’est à dire des « typo », moins wildstyle, le fameux truc de la simplicité. T’as envie de faire de plus en plus propre, de plus en plus clean, notamment à la fin de ma « carrière », c’était ça mon genre de délire. Mais quand je reprends le skate, je peins plus du tout, du tout, ça s’arrête un peu comme ça. L’équipe avec qui je suis se disloque un peu et chacun fait sa life. Je repars dans d’autres trucs et voilà quoi. C’est à dire que je me refais un crew de potes dans le skate. Parfois, tu croises des taggeurs actifs sur des spots de skate, je taxe une bombe, je fais un tag pour la rigolade. J’aimais beaucoup faire des tags, faire des flops. Mais j’aimais beaucoup faire du marqueur, j’adorais ça, les sauts de rail aussi.

Quand j’ai pu remarcher à peu près, sans faire de ollie ou quoi, c’est là que j’me suis mis à rouler en switch, comme un ouf. Y’a un côté cérébral, très très drôle, vu que c’est pas naturel. Ca a plutôt nourri mon skate à vrai dire et changer ma façon de skater. J’ai quand même été bosser, mais c’était hardcore, notamment la première semaine.. Tu prends un anti-inflammatoire le matin, t’arrives au taf, t’es stone. En plus, ça tombait à un mauvais moment niveau taf. Au bout de deux semaines, tu peux marcher comme un vieillard, c’est fatigant, mais c’est pas le pire. Le gros doigt de pied, c’est le pire, parce que tu peux pas marcher, pendant deux semaines t’es allongé. C’est mort. Le coccyx tu peux marcher doucement quand même. Et ça, c’est dur, arrêt maladie, tu fumes de la beuh toute la journée, parce que t’as mal. Et au bout de 15 jours, t’en as marre.

H:

A un moment dans le livre, tu dis qu’au départ pour te citer : « ça te choque que les gens se parlent et commentent », tu peux développer ?

C:

J’ai connu l’époque avant Internet ou les réseaux sociaux, et t’avais pas de retours de qui que ce soit. C’était ta peinture et toi, ta démarche, de faire des photos ou de la peinture. Là, tu lis des commentaires de gens, parfois avec leur blaze dire « ça c’est trop bien ou autre » ça m’a choqué. J’te dis ça parce qu’à d’autres époques, c’était très secret, très caché, très protégé, complètement underground. C’est pas parce que y’a plein de graffitis sur les métros que c’est facile d’aller peindre des métros. Donc, le fait de voir des commentaires sur des panels, au début ça m’a choqué. Ca a changé en fait quoi. Au départ, Insta, j’en ai rien à foutre, j’ai pas de compte Insta ou Facebook avec mes copains, parce que au final, je préfère voir mes potes qui me montrent des photos de leurs vacances ou qu’on parte en vacances ensemble plutôt que de les voir sur les réseaux. Faire la démarche d’aller sur un site pour matter les vacances de mes potes, je trouve ça chelou. Pour le coup, pour suivre des évènements, des concerts, des groupes de discussion, j’trouve ça intéressant, autrement… Insta, c’est pareil, quand j’ai fait mon compte, c’était dans une optique de partage de photos de graff, surtout la grosse session que j’avais prise y’a deux-trois ans. Je m’étais dit que j’avais un gros volume de photos, elles sont cools, que l’appareil photo du téléphone pour une appli’ de photo ça passe, donc c’était parti. Ca reste très impersonnel, je connais pas les gens ; ce côté-là me plaît du réseau social de pouvoir parler avec des gens que tu connais pas et que t’es peut-être amené à connaître finalement. Ca, je trouve ça intéressant. Par contre, de liker la photo du gamin de ton pote entre deux panels, j’trouve ça chelou.

Pour autant, à part sur Instagram, on a pas du tout communiqué sur le bouquin. Tout s’est fait via ce médium-là en fait. Et tu te rends compte que c’est quand même très très puissant. Ca a changé la vie des gens. Y’a une puissance de communication folle. Et c’est pas pour rien que y’a plein de boîtes qui utilisent à balle Google, Facebook, Insta, les trois-quarts de leur com’ est morte sans ça.

Insta’, ça te permet de voir aussi des trucs d’autres pays vu que tu choisis tes abonnements, donc si tu t’en sers de medium, plus que de finalité, c’est superpuissant. En tant que finalité, je trouve ça dommage.

H:

Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui en 2020, vouloir créer un objet physique, ça vient marquer une résistance à la tendance à la dématérialisation à outrance qu’on connaît actuellement ? Je pense par exemple aux nombres croissants d’écrans pour faire de la pub et qui captent –via la lumière dégagée- ton œil et l’attention du plus grand nombre.

C:

J’pense pas être dans un truc de résistance, ça j’en ai rien à foutre. En même temps, faut aussi vivre avec son temps. Si y’a autant de gens qui utilisent –notamment les réseaux- c’est que les gens s’y retrouvent et que y’a quand même du positif. Pour l’histoire des écrans, c’est quand même tendu de se dire qu’en faisant de la photo et des impressions, on fait un acte de résistance. Par rapport à quelque chose qui a commencé y’a 600 ans, c’est qu’on serait en train de changer de paradigme…

H:

Je pensais à Youtube notamment, du fait de sa gratuité et que tout le monde peut mettre tout et n’importe quoi en ligne aussi…

C:

La vidéo est importante, Style Wars, je le vois à 16-17 ans, ça m’a choqué. Wild Style encore plus. La vidéo des MAC était cool à l’époque, surtout je kiffais le style new-yorkais des années 80. Après, faut faire la diff’ entre une vidéo d’une heure avec des concepts ou bien des micro-vidéos, juste d’action(s).

H:

Pour ma part, c’est la vidéo Dirty Handz 2

C:

Oui, y’a du boulot de montage. Sur la musique avec les scratchs avec les trains, niveau quali’ c’est une top vidéo. Et ça, c’est clair, c’est pas un post Insta où tu la balances… Je pense que c’est la même démarche que quand tu fais un bouquin, tu veux marquer un moment, une époque, un timer avec un volume de contenus, un concept. Donc, forcément, c’est du boulot.

Un truc dont on a pas parlé la dernière fois (il y a eu deux entretiens, n.d.l.r.), et qui participe au truc de la vidéo. D’ailleurs, avant d’être dans la culture graffiti, j’étais dans le skate. Le skate, c’est beaucoup de vidéos, de façons de shooter, de photos. Et forcément, de manière implicite ou inconsciente, ca a joué sur mes photos. T’accumules des images inconsciemment, des façons de faire, de procéder, que ce soit niveau skate, mais aussi des films. Par exemple, au début de Style Wars, t’as un plan fixe sur une lampe avec les trains qui passent et t’as un métro qui passe et la lampe éclaire les graffs… Et même si j’ai focus sur la photo, j’ai aussi pris des trucs en vidéo, à un moment je faisais que des vidéos et inconsciemment tu vois, je shootais un métro qui repartait et je vois que y’a ce truc de la lampe qui éclaire les graffs et j’ai tilté sur ce truc de Style Wars…

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Le plan dans Style Wars

H:

…tu t’en es rendu compte sur le moment ou bien après ?

C:

Non, c’était pas en shootant le truc où j’ai percuté, mais c’est en voyant la vidéo… Et j’me suis dit, « ah putain, si j’avais mieux fait ou conceptualisé ça, j’aurai pu faire le même plan ». Et je pense que ce sont des réflexions hyper cools. Peut-être qu’on peut dire que c’est de la branlette, mais si quelqu’un capte que c’est le même plan, t’as réussi ton coup. Mais de toute façon, c’est intéressant de se nourrir de choses différentes, d’emmagasiner. Tout ce dont tu te nourris va rejaillir derrière. Bien souvent, y’a très peu de mecs qui inventent quoi que ce soit dans la photo ou dans la vidéo. Ce sont des arts qui ont été explorés dans tous les sens. De façon spontanée tu peux faire de belles choses, mais forcément tu refais des choses qui ont déjà été faites, conceptualisées. C’a été le cas pour la vidéo avec les lampes, mais ç’a été inconscient, involontaire. Et ça, c’est aussi un jeu dans le jeu, ça peut permettre faire des clins d’oeil.

Tu vois moi je suis pas très séries, je suis plutôt films. Mis à part True Detective où y’a un travail sur la photo qui est malade mental. C’est intéressant de regarder de vieux films, une fois, deux fois, trois fois. Essayer de se documenter. Un truc que j’aimerais vraiment faire, mais qui se fait certainement déjà, c’est aller à New-York et refaire des photos emblématiques de films. Je suis allé peu de fois aux Etats-Unis -que sur la côte ouest- mais quand j’étais là-bas, ils nous ont tellement abreuvé de leur culture qu’en fait, tu te balades dans une ville et tu te sens pas dépaysé. J’avais l’impression de connaître et ça m’a choqué. Après, j’étais dans un endroit filmé dans tous les sens. Et t’as une rue avec un pont et la photo a été pris 6 millions de fois dans les films, etc. Et là, j’me suis rendu compte à quel point j’étais pas dépaysé. J’ai d’ailleurs une bonne collec’ de murs et de camions de là-bas shootés là-bas. Peut-être qu’un jour ça sortira.

Entretien fleuve avec les TS.HO

Parisienne et « familiale », j’ai été rencontrer une bonne partie de l’équipe des TS.HO fin 2018 entre Pantin, République et le canal St-Martin. Au programme: des golfeurs, de la story Insta, des yeux qui brillent et de la peinture, énormément de peinture.

Hélaire : On rentre dans le vif du sujet, avec une question évidente vu le nom de votre crew ; pourquoi TS.HO, Toujours Sous Homards ?

TS.HO : C’est un délire second degré. Etant donné que le crew est une addition de deux équipes à l’origine, les TS et les HO, ça a donné TS.HO. On voulait pas non plus un nom qui fasse gangsta et le homard étant un met de qualité, on voulait rester dans cet esprit « qualitatif ».

Capture d’écran 2019-01-21 à 14.53.27

Rep(u)resent

: Depuis combien de temps vous graffez ?

TS.HO : On graffe tous depuis pas mal d’années, certains moins… Mais TS.HO, la connexion des deux équipes a cinq ans.

– Ouais, mais avant tout, c’est quand même une histoire d’amitiés.

– Nous, les TS.HO, avant tout, on est un gros crew, une famille… On a pas trop envie de faire des connexions. Les seules personnes avec qui on est vraiment connecté, c’est les NFL (Nous Faisons L’amour, ndlr), ceux qu’on voit même en dehors du graff, des potos avant tout. Et après, on fait aussi du graffiti avec eux…

– C’est pas une connexion pour le graffiti. C’est nos potos avant tout.

-Mais si y’a du graffiti, ils sont là, y’a pas de problème.

: J’ai été checké votre Insta et y’a aussi les 2CP (2000 Coups, ndlr)…

TS.HO : Ouais, chacun au sein du groupe a plus ou moins son crew d’origine, moi chui 2CP, un autre A16, lui est HLM…

– Moi, chui V.13…

– On a tous des crews extérieurs qu’on pose en plus…

-Mais maintenant, c’est quand même presque que TS.HO.

: Justement, vous avez cette spécificité comme peu de groupes en France, à part peut-être les FLMST, de faire passer le groupe avant les membres.

TS.HO : Y’a aussi les SDF…

: Ouais, mais on les voit moins en ce moment…

TS.HO : On les connaît un peu les SDF, y’a eu des embrouilles au sein de leur équipe, y’en a qui sont à Bruxelles, d’autres à Paris. Chez eux, y’avait un boss dans leur équipe, nous y’a jamais eu de boss. Des mecs comme moi, qui sont dans le crew depuis cinq ans ou lui depuis deux ans, on est tous au même niveau.

: Y’a pas un « mâle alpha »…

TS.HO : Hors de question…

– Homard A. quand même. (Rires)

TS.HO : Tu vois, juste là, y’a par exemple 2CP, RMK, TS.HO, NFL… (Sur le mur en face.)

– Ouais, y’a les 3FP (3 Fois Pires, ndlr), proche des RMK (Royal Master Kush, ndlr) aussi…

-Tu vois, par exemple, ce week-end, on a fait un graff avec pas mal de noms de crews, tu peux gérer la story Instagram ?

: T’inquiètes, j’avais vu ça… Toute la lettre avec les noms de crews, qu’est-ce’ tu crois, j’ai bossé mon interview… (Rires)

TS.HO : Normalement, quand tu rentres TS.HO, t’oublies ton blaze, enfin, tu poses plus ton blaze et tu poses que TS.HO. Moi, par exemple, ça fait trois ans que j’ai pas posé mon blaze, lui ça fait trois ans pareil. C’est ça l’esprit. L’idée, c’est de voir le nom du crew, comme ça, ça fait plaisir à quelqu’un… celui qui va le découvrir. Donc lui, ça va le booster, le pousser à nous faire un kif. Les graffs, c’est des petits cadeaux qu’on se fait entre nous.

– Et surtout, dans la rue, quand on commence à connaître le style, on sait qui a fait quel TS.HO.

: Justement, j’allais y venir, on voit que y’a différentes vibes selon la gueule des graffs TS.HO.

TS.HO : Y’a plusieurs écoles dans TS.HO, y’a Tolztoyz, qui est la branche ignorant, un délire abstrait, difficile à définir, d’autant plus que c’est des gens qui savent très bien peindre.

– C’est même plus de la lettre à la fin, c’est une peinture juste.

– Y’a plein de combinaisons et de styles selon qui va peindre avec qui.

– Après, quand on a pas le temps, dans la rue, on fait un T, un S, un H, un O. Après en terrain, on peut faire un travail plus approfondi. Mais dans la rue, souvent on fait ça parce qu’on peint souvent quand on est bourré, et vu qu’on est une bande de potes, forcément on se voit très souvent. Et donc y’a toujours deux-trois bombes qui traînent dans le tieks. Parfois, c’est aussi juste l’occasion qui se présente, on voit le store, on va en soirée, on a deux-trois bombes ; ça se fait comme ça. C’est très rare qu’on se dise, qu’on se rejoint pour aller faire une session.

– On se rejoint essentiellement pour boire…

– Ouais, essentiellement pour tiser, surtout pour se voir…

– La famille !

– On voyage ensemble, on va en festival ensemble…

– Même pour essayer de construire une vie ensemble. (Rires)

– On cherche un domaine à acheter…

– …pour faire notre propre vin, whisky…

– On va ptet un peu galérer au niveau des femmes… (Rires)

– On va devenir polygame. (Rires)

– On en a deux, on est quinze…

– Homard B., ça le fait pas du tout rire ce qu’on dit…

– Nan, mais en vrai, on est tous maqués dans TS.HO. Eh ouais… le graffiti n’empêche pas d’avoir des meufs.

: Justement, c’est un bon moyen pour pécho le graffiti ?

TS.HO : Grave ! (presque en chœur)

– A la base, j’ai commencé le graffiti POUR pécho !

: Bah voilà ! Ca c’est honnête !

TS.HO : Ma première meuf, mon premier amour, je l’ai croisée, je faisais des tags en permanence.

-J’me souviens, c’était R-MOZ, un boss du crew, on avait 14 piges, on était dans une soirée, il avait un book, il faisait ses tags et toutes les meufs étaient autour de lui. Et moi, j’avais trop le seum, j’étais là pour pécho tu vois… Et comment lui il a eu tout le succès, j’me suis dit, vas-y c’est mort… Et le lendemain ou le surlendemain, il allait graffer et j’lui ai dit : « je viens avec toi » et c’est comme ça que j’ai commencé à graffer. Après, très vite, j’ai commencé à kiffer le graff et tout, mais à la base c’était pour ça. Et je pense pas être le seul.

– Ouais, moi c’est à peu près ça aussi. C’est pas que pour les meufs, parce que c’est aussi pour un délire de vie en vrai, moi au début, j’avais pas du tout les mêmes potes, j’étais là à galérer, traîner, à rien faire à part boire, jouer aux cartes et…

– Aller au PMU !

– … nan même pas, c’était dans un petit coin de Montreuil, j’te parle, j’avais quinze ans… A seize ans, j’ai rencontré les NFL qui n’étaient pas encore vraiment les NFL, on était au lycée, on était petits… puis viennent les soirées dans les maisons, avec des meufs qui te plaisent et voilà…

: Donc vous êtes tous originaires de Paris ?

TS.HO : Paris ! Pas de provinchiottes dans l’équipe ! (Rires)

– Très important !

– Ouais, ça nous tient très à cœur.

– Il a eu du mal à accepter la banlieue très proche, mais… (Rires)

: Montreuil, ça compte pas ?!

TS.HO : Si, il tolère… tant qu’y’a le métro !

– En vrai, c’est Paris et banlieue proche.

– … mais y’a un mec qui vient de Bretagne quand même dans le crew qui pose BIGO, BIGORNO et c’est le seul…

– …le seul provinchiotte qu’on ait accepté !

– Le seul provinchmerde ! (Rires)

– Sinon, on vient tous d’un quartier différent de Paris.

: Combien de membres dans TS.HO ?

TS.HO : Une équipe de foot, avec les remplaçants, 24 membres ; parce que t’as vraiment des remplacants, genre le fond de banc, ceux qui sont là presque que pour les photos de famille, c’est l’équipe B. (Rires) Et aussi on a une expression à savoir, de base, on dit qu’on est une équipe de foot et pas un joueur de golf ; quand on dit –ouais, t’es un golfeur- c’est que tu la joues perso.

– … surtout si on voit ton blaze sans TS.HO à côté…

– …dans ce cas, t’es un golfeur, mon loustic !

– Ouais et c’est mal vu… et donc on va dire que t’es un joueur de golf, donc tu vas t’faire tailler.

: Récemment, j’ai vu que VAHé TS.HO avait fait une expo, c’est un truc qui vous tenterait ?

TS.HO : On en a déjà fait. Avec l’équipe, dans des squats, notamment plusieurs à Montreuil.

– Ouais, on arrive, on bosse un mois à l’avance, en tant qu’équipe… en tant qu’équipe tout le temps !

– La dernière grosse était à Clamart, on avait tous mis une toile et on avait même fait profiter d’autres personnes… cent exposants… dans un gros lieu sa mère… Pareil, à Montreuil, tout le monde mettait une toile…

– Comme à Bagnolet, l’ancien squat qu’on avait… Le lieu abritait l’expo…

: C’était juste des toiles ou bien les murs étaient peints ?

TS.HO : Y’avait des toiles, des instal’… en vrai, c’était free, chacun mettait ce qu’il veut.

– On avait aussi peint les murs, à part ceux où y’avait les toiles, mais c’était volontaire. C’était le Hangar devenu le Garage à Bagnolet.

– C’était vers 2016-2017, c’est un lieu qui est fermé maintenant.

: Donc pour en revenir à l’origine des TS.HO, c’est la connexion de deux équipes, mais comment ça s’est fait concrètement ?

TS.HO : Bah, ça s’est fait sur une peinture, non ?

– Homard A., toi tu connais l’histoire…

– Bon, moi j’étais pas là, mais…

– Homard B., toi t’y étais…

– Ouais, au premier jour de TS.HO, on s’est tous rencontrés, on s’était dit qu’on irait tous peindre vers Gallieni. On était une quinzaine. On a commencé à tous faire nos blazes au début ; des HO et des TS, chacun d’un côté. Et puis à la fin, pour notre dernier graff pour lequel on a dû courir, on a fait un TSHO. Et de là est né le crew.

Capture d’écran 2019-01-21 à 14.52.59

Photo 1er TS.HO

 

: Sans le point à l’époque ?

TS.HO : Exactement.

– Le point est vraiment indispensable.

– Le premier graff existe toujours d’ailleurs.

– En fait, on a pas quatre lettres, on a cinq lettres. Tu te fais insulter si tu mets pas le point. Sinon, c’est TSHO (prononcé TCHO).

– Et TCHO, il existe déjà.

: Et c’est un marseillais !

TS.HO : Exactement. Bien renseigné.

– Les 2CP sont là-bas maintenant et j’y étais cet été. Enfin, ceux qui ont créé le crew sont là-bas maintenant.

: Est-ce que vous avez des influences particulières dans le graff ?

TS.HO : Des gens qui nous influence ou si nous on influence… (Rires)

– Vu qu’on a tous des styles différents, on a tous un peu des influences différentes.

– Après, j’pense qu’on sera tous d’accord pour dire FD… NAV, même TPK pour le matraquage, ceux qui ont fait la scène sur Paris…

– 1UP…

– Mais c’est vrai qu’on est vachement centrés sur les parisiens.

-Franchement, le truc c’est qu’il y a plein de gens qui nous ont influencés et qu’on a rencontrés ensuite et la rencontre des fois, ça colle pas, c’est un peu une déception. J’dois dire que y’a eu plus de déceptions sur les gros noms qu’on a rencontrés qu’autre chose…

– A part KENO, les MB, YKS …

– Ouais parfois ça casse le mythe…

– On est tombés sur des gens parfois, c’est même des schlagues.

– Dans les influences, beaucoup PAL en tout cas.

: Justement, mon ressenti perso, c’était surtout PAL et SDF.

TS.HO : SDF, ils ont notre âge, donc bon on a à peu près les mêmes influences.

– On a commencé à graffer en même temps qu’eux…

– Au début, on allait dans les mêmes soirées, même ça arrivait qu’on se foute sur la gueule, on avait le même âge, on graffait aux mêmes endroits, c’est vrai qu’on a été en embrouille pas mal de temps avec eux.

– Maintenant, on est carrément potes avec eux.

– Eux graffent depuis à peu près aussi longtemps que nous, mais ont créé l’équipe plus ou moins six mois avant que TS.HO soit créé.

: C’est intéressant, parce que j’ai le sentiment que vous êtes vraiment actifs depuis deux-trois ans et que les SDF, c’était un chouïa avant…

TS.HO : Ouais, c’est ça.

– Mais en tout cas, c’est pas des mecs qui nous influencent les SDF. C’est plus on a grandi en même temps. D’ailleurs, eux ont aussi été influencés par le même genre de personnes.

: Je voulais aussi évoquer NOSHY parce qu’il était lié aux TS.HO, il me semble…

 

TS.HO : Ouais, c’était un de nos potes. Il était très pote avec un mec de notre crew qui s’appelle OKUP…

: Son décès est lié au graffiti ?

TS.HO : Ouais.

– Dans un tunnel de métro… (Puis plusieurs à reprendre.)

– Nan, c’était dans une voie ferrée. Avec son téléphone, y’a eu un arc électrique…

– On a fait une grosse peinture pour son RIP

: …sur les quais de Seine, sous la cité de la mode ?…

TS.HO : … nan, celle au théâtre de Ménilmontant, elle est restée assez longtemps d’ailleurs, près d’un an, juste derrière le théâtre, t’as un mur légal avec pleins de graffs, c’était là. Du coup, on a fait une grosse fresque, on en a fait une à Bercy, une ici aussi sur les quais.

– …c’était un baroudeur, un aventurier, très solitaire. Il est mort tout seul, dans une voie ferrée, vers cinq heures du matin et ils l’ont découvert vers seize heures, allongé entre deux voies de chemin de fer… Triste histoire.

– Après, y’a une prise de conscience, tu sais que quand tu graffes, tu peux tomber d’un toit… tu peux avoir peur, mais vraiment. Parce que tu te dis, là t’es bloqué et c’est arrivé plusieurs fois, y’a un pote à nous, ESHEK, il est tombé dans le métro et en se rattrapant, ses mains étaient à 20 cm du rail électrique… que des trucs comme ça. Et quand tu graffes et que tu fais ces choses-là, t’en as conscience forcément.

– Surtout que souvent t’as l’alcool qui est là…

– Après NOSHY, il était solitaire et un peu fou aussi. Ca lui arrivait de s’endormir dans des niches de métro…

– …il était un peu à la rue en vrai… un peu SDF.

– Mais c’était grave un bon gars.

– Paix à son âme.

: C’est vrai que ces derniers temps, la scène parisienne a pas été gâté avec SAEIO l’année dernière…

TS.HO : Carrément. C’est un gars qui a vachement influencé le graffiti.

– Attends, mais c’était un génie ce mec.

– De t‘façon, ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier.

– Un accident de bagnole à la campagne apparemment.

– Ca peut arriver à tout le monde…

– Bah comme Schumacher, les types vivent à 300 à l’heure et il meurt sur une vieille route de campagne.

– Mais c’est vrai que la mort de SAEIO, au début, j’y croyais pas. Même au début, j’croyais c’était un canular.

– Personne n’y croyait.

– Surtout parce que c’était SAEIO.

– Deux mois avant, on était à son expo’.

– C’est une légende. Et encore plus maintenant.

: Du fait de son décès ?

TS.HO : J’pense.

– Avant déjà, c’était un précurseur.

– Tu vois, là, même maintenant, un an après sa mort, y’a personne qui a son style, sa patte. Mais personne ne l’aura jamais d’ailleurs.

– Un jour, ses peintures vaudront vraiment de l’argent.

– J’ai eu la chance, parce que j’avais une pote dans le même atelier, ‘fin même squat, de voir ses dernières toiles, j’étais trop saucé…

– … au Wonder/Liebert ?

-… j’ai vu sa dernière paire de requins… je les ai mises… (Rires) pour que ça me donne la force. Dans le te-squa, y’avait encore la liste pour sortir les poubelles et y’avait encore marqué SAEIO, Paul SAEIO et sa compagne…

: Vous avez un support de prédilection ?

TS.HO : La rue.

– Ouais, la rue.

– Les camions, les toits…

– …les stores ! Ouais numéro un les stores…

– …numéro deux, entre les tunnels et les toits…

– … ah, si les stores étaient pas effacés…

– … ouais, en deuxième position, camions, tunnels de métro et toits ensuite et murs quelconques. Mais stores, ça reste le premier truc.

: Vous avez fait du tunnel de métro donc ?

TS.HO : Moi, j’en ai fait pendant longtemps.

– Mais c’est pas trop le kif.

– Certains diront que le tunnel, c’est un truc que tu DOIS faire…

: Un truc de débutant ?

TS.HO : Y’en a qui disent que si y’a pas ton blaze dans les tunnels… bah, t’es pas…

– En fait, c’est beaucoup moins risqué d’aller dans les tunnels que faire de la rue. T’as beaucoup moins de chances de te faire péter dans les tunnels que dans la rue.

– C’est vrai qu’une fois que t’es rentré, t’es tranquille.

– Tu peux te balader et faire plusieurs tunnels entre les stations…

– Après, t’as des mecs qui ont pété tous les tunnels, ils ont pas pété un seul panel aussi… C’est pas le même risque non plus.

– Parce que le risque reste un facteur important pour dire si t’es un bon graffeur ou pas.

: Dans la rue, y’a quand même plus d’aléas ?!…

TS.HO : Après, nous, c’est organisé maintenant. On peut rentrer un graff en deux minutes. Mais le plus important finalement, c’est pas les mecs qui peignent, mais les mecs qui guettent.

– Par exemple, moi j’ai sept ans de guetteur ! (Rires)

: J’espère tu l’as mis sur ton CV !

TS.HO : Elle, elle est en deuxième année…

– Nan, mais c’est vrai ce qu’il disait, que le guetteur est presque plus important que le graffeur même ; c’est lui qui a le plus de stress, parce qu’à cause de lui, tes potes peuvent se faire péter.

– Parce que quand tu graffes, le temps passe vite, mais quand tu guettes, tu vois tes potes… le temps passe lentement de ouf ! En même temps, faut pas que tu les stresses, parce que si tu les stresses, le travail sera moins bien fait…

– En vrai, on est organisé, en trois minutes, on peut te taper une grosse pièce, parce qu’on se connaît bien. On a l’habitude de graffer ensemble.

– Toi, tu fais contours, toi remplissage, toi surcontours et hop on est parti…

– L’important, c’est de kiffer le tracé, kiffer le lettrage. En fait, dès que tu sais qui fait le tracé, le lettrage, ca va tout seul.

– En fait, on se suit, et quand on arrive à la fin du store, c’est fini quasiment. Tu vois, le O est même pas entamé, que le T peut déjà être fini.

– Et c’est pour ça que c’est super rapide. C’est un peu comme une photocopieuse, y’a deux passages.

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: Y’a un côté efficace, rapide.

TS.HO : Bah, j’avoue ça nous fait kiffer en plus, quand tu rentres une pièce en une minute, on est fiers de nous.

– Ca marque beaucoup plus les gens aussi, si on faisait chacun que nos noms, nos blazes avec TS.HO dedans… y’en a qui dirait, ouais lui il a bien tout niqué, lui moins, mais il est aussi TS.HO, etc… Alors que là, tu vois que TS.HO et au pire, avec des blazes dedans. Ca dépend un peu de l’ambiance pour les cassdeds

– Ouais, la plupart du temps, on fait un TS.HO, avec un 2018 à l’intérieur et c’est terminé.

– Des fois, ça arrive aussi qu’on fasse un gros TS.HO avec les noms de tout le monde, même ceux qui étaient pas là.

: Et ça vous arrive de poser TS.HO, même en solo, sur store ?

TS.HO : Ouais, bien sûr.

– Bah, mon poto, il est parti au Brésil et il a fait une cinquantaine de TS.HO, il a mis son blaze de côté…

– Quand on a vu ça, ça nous a donné de la force, genre ah ouais, t’as fait ça là-bas, bah, tu vas voir ce qu’on va faire à Paris.

– C’est en mode donnant-donnant.

 

: C’est une sorte d’émulation en fait…

TS.HO : Ouais, tu vois par exemple, j’étais en Italie avec ma meuf, on en a faits.

– Ouais, même chacun de son côté en vacances, il en fait là où il est.

– Y’a même un poto à nous, qui a posé tout seul, TS.HO à Hossegor, il s’est fait serrer et il s’est pris 4000€ d’amende pour un graff qu’il a fait tout seul. Tellement il était recherché, il s’est pris une grosse amende.

: D’ailleurs, justement avec les keufs, comment ça se passe ?

TS.HO : Justement, l’autre jour, on se disait, ça fait un an qu’on s’est pas fait pétés… pourtant cette année, on a bien peint.

– On touche du bois.

– Après, par exemple, on était à Marseille, on s’est faits arrêtés plusieurs fois, mais ils nous ont laissé repartir, tu vois. Ca dépend vraiment du schmitt, de l’endroit où t’es…

– Après, maintenant, on a des bons guetteurs et on va vite, donc ça joue aussi.

-Très important le guetteur !

– TRES IMPORTANT LE GUETTEUR !

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Près des Puces à St-Ouen

: Des anecdotes marrantes à raconter ?

TS.HO : On était à Berlin, à une grosse station avec pas mal de changements, un passage un peu obligé quand t’es à Berlin. Bon, et à cette station, y’avait des échafaudages sur un immeuble qui donnait sur la voie ferrée en haut. Et donc, quand tu passais en métro, tu te prenais tout l’immeuble avec l’échafaudage devant et du coup, y’avait une grosse place qui était là et donc, je monte avec ANIS là-haut pour faire un TS.HO et un autre membre était en bas et toutes les personnes en bas regardaient ce qu’on faisait, parce que y’avait v’là le monde en bas et lui criait : « Don’t look, don’t look, go away, go away » avec un accent de ouf, et finalement on était plus cramés à cause de lui que par les gens. Et nous, on l’entendait d’en haut : « go away, no look ». ‘fin c’était marrant… Et lui rajoutait : « no pictures, no pictures ».

– J’en ai une aussi. On était cette équipe-là.

– La fine équipe !

– La fine équipe. Du coup, on avait bien bu, on cherchait des toits pour graffer sur Paris, on défonçait des halls de porte (ndlr d’immeuble, les portes), on montait, on a ptet fait cinq, six toits dans la soirée et à un moment, on arrive sur un toit, on marche super longtemps. On arrive à un endroit avec un balcon en contrebas, y’avait des chaises et un parasol, on pouvait se poser et j’dis aux gars, venez on se pose sur le balcon, pépère…

– C’est pas chez nous, hein…

– Et eux me disent, nan, arrête tes conneries… Du coup, je descends quand même, par le parasol et après, j’leur dis, j’vous passe les chaises là-haut, on sera bien sur les toits. Et j’commence à monter et là, y’a un p’tit vieux ou p’tite vieille, j’sais pas, qui sort sur le balcon : « mais qu’est-ce que vous faites là ?! » (d’une voix chevrotante)… alors que moi, j’étais en train de passer les chaises. (Rires) On avait déjà passé la table. Et j’essaie de grimper au parasol, comme j’étais descendu, et là, le parasol se casse la gueule et ça fait un bordel monstre sur la terrasse. Eux s’étaient d’jà tous barrés, ces enculés-là. Donc, j’essaie de monter par la petite barrière en bois qui séparait les deux balcons. Et là, pareil, la barrière se casse la gueule et au final, y’en a un qui revient et qui me tend le bras et j’arrive à remonter, c’est passé et on s’est barrés.

– J’me souviens, tu m’as chopé le bras comme si c’était une corde. (Rires)

– Bah ouais, ça faisait trois fois, je tombais, j’essayais de remonter… et la meuf qui pétait un câble, « mais qu’est-ce que vous faites sur le balcon ?! »…

– Ah, j’en ai une petite aussi. C’est la première fois que j’allais chez Homard C, en before, avant d’aller en soirée, on avait des sprays et il avait du LSD tu vois. Et moi, c’était la première fois que j’en prenais. Donc je prends un p’tit carton, je commence à être un peu fonsdé, et là, dans la rue, je commence à avoir l’impression d’avoir la bombe de Gulliver, un truc de ouf…

– … il s’arrêtait plus…

– …et j’arrêtais plus de tagguer, eux me disaient : « arrête, arrête, tu vas te faire péter… »

– …parce que vraiment, tous les mètres, il faisait un tag…

– …même nous, on marchait plus loin dans la rue, genre on le connaît plus…

– …en plus, on était une petite troupe, donc on était quand même voyant…

– …et là, ça manque pas, au bout du dixième store, j’me fais plaquer –voiture fantôme- et j’rentre dans la voiture et le LSD commence à monter dans la voiture… et les mecs me disent : « vous avez taggué quoi ?! »… et là j’entends le truc en écho : « VOUS AVEZ TAGGUE QUOI ?! Vous avez taggué quoi ? vous avez taggué quoi… » ; « J’AI RIEN FAIT ! J’ai rien fait, j’ai rien fait… » puis les bruits de talkie-walkies : « TIDIDIDI ! Tidididi, tidididi… » ; « MONSIEUR, VOUS AVEZ LES YEUX QUI BRILLENT ! Monsieur, vous avez les yeux qui brillent… monsieur, vous avez les yeux qui brillent… » ; « MAIS PAS DU TOUT ! Mais pas du tout…mais pas du tout ». Et après, j’me suis retrouvé en dégrisement dans la cellule, avec tout qui flottait…

– Il a fait toute sa fonsdé en cellule.

– Pour sa première…

– J’avoue nous on a continué, en mode, on a vu les keufs sortir de la voiture, on t’a vu contre le store, mais on t’avait prévenu !

– On t’avait dit : « Attention ! »…

– On l’a même pas regardé, on a tracé…

: Tu citais Berlin, l’Italie, le Brésil… les TS.HO sont présents à l’international ?

TS.HO : Ouais, par exemple ; on était à Barcelone, on rentrait du Brésil, on était en escale avec un frérot des NFL. On regarde sur la map, on s’dit qu’on va faire un Renfe à Barcelone. On veut se faire un train, on regarde comment c’est. On arrive aux trains et on tombe sur deux autres espagnols qui étaient déjà sur le plan. Du coup, on ressort tous les quatre. On discute, on tape pas le truc pour l’instant. Et pendant qu’on parle, t’as tout un autre crew d’espagnols qui débarque et là on se retrouve à neuf à faire le plan de Renfe, et là on se fait le train, j’avais posé mon tel, pour prendre la vidéo –qui est mortelle d’ailleurs- on termine, puis t’as un mec de la sécu qui arrive et j’fais : « seguranzia, seguranzia ??? ». Et là les espagnols, ils disent : « tranquillo, nos otros vamos ! » ce qui veut dire, « tranquille, on y va, on y va ! ». Ils rangent leurs bombes, au début ça court pas, après on se met à courir et voilà… Mais c’est vrai qu’on partait à deux, en touristes absolus, et finalement on se retrouve avec un crew et maintenant on se suit sur Insta, et les mecs cartonnent grave sa mère et c’est un gros crew de là-bas. Ca s’est fait en se rencontrant par hasard alors qu’on est en escale, tu vois. Mais les rencontres avec des graffeurs, c’est souvent comme ça. Même ici, si tu restes toute la soirée ici, c’est pareil.

– … j’en ai une bien, tiens d’anecdote dans le même style… on est dans des tunnels, dernière circu, vers 23h30 – minuit, on rentre, on était quatre, trois NFL et un TS.HO. On se cale dans une niche pour attendre la fin des circus pendant vingt minutes. Fin des circus, on voit du bout du tunnel, y’a une équipe de gars qui arrivent. Au début, on sait même pas combien ils sont. On s’dit c’est les keufs. Finalement, on reste dans la niche en s’disant qu’ils vont pas nous voir et finalement les gars passent, ils étaient cinq, six et c’était des gueurtas. Et ils passent devant nous et on fait : « HOO !! ». Et là, p’tit coup de press’ de leur côté, surpris, ils font : « c’est qui ? c’est qui ? ». On fait : « c’est pas la police, c’est pas la police ! ». Et là ils font : « dites les blazes, dites les blazes, dites les blazes ! ». « NFL, TS.HO, NFL, TS.HO ! ». Et après ces connards nous ont empêchés de taper le panel, parce qu’ils ont dit : « venez on y va tous ensemble » et ils ont fait cramé le détecteur. Et on a tous dû repartir.

– C’était qui eux ?

– Y’avait des gros blazes !

– C’était 357, non ?

– Ouais, 357.

: Bon et sinon la 12, qu’est-ce qu’il lui arrive ?

TS.HO : Ah bah tu veux savoir ce qu’il s’passe sur la 12… (Rires) T’as des mecs dont je citerais pas le nom qui ont pété la machine pour nettoyer les métros et c’est pour ça que ça tourne et y’a plein de métros tapés qui tournent en ce moment.

: Parlant métros, vous avez fait un peu de roulant ?

TS.HO : On en a fait un peu, les NFL en font plus que nous, mais ç’a été des galères, y’a eu des perquis’ et tout, donc maintenant, on en fait à l’étranger, à Milan, Berlin, Gênes, etc. Ca se fait, mais à l’étranger. Paris, on a arrêté.

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Sprechen Sie Deutsch ?

– Un truc qui nous a beaucoup refroidi, c’est une partie des NFL qui s’est fait pétée, avec procès, article dans le Parisien, les perquisitions sont passées sur TF1, 450000 euros pour du roulant et c’est des gens qu’on connaissait très bien et qui étaient avec nous tous les jours dans notre squat à Bagnolet à l’époque…

– Là, le truc attend toujours d’être jugé et y’en a qui font appel sur appel… mais t’as une tête qui doit 90000 euros, d’autres 40000, une autre 70000 et ils sont que cinq sur les 450000… Ca c’est chaud comme histoire.

– En plus j’me souviens, la perquisition passe sur TF1 et ils avaient mis des photos de graff qui n’étaient pas du tout eux, dont notamment un graff de TIGEN, un pote à nous, qu’il a fait à Amsterdam pour le reportage sur la perquis’ des OB (On Bifle, ndlr)…

– On voit les types ont tapé graffiti sur Google, pouf, ils ont pris la première image…

– Le truc le plus marrant, c’était les images en direct de la perquisition chez notre pote – parce qu’on le connaît bien ce caralho– et on est même déjà allé chez lui, tu vois tous les keufs en bas de chez lui en mode très véner pour la vidéo alors que notre pote est p’tit comme aç… Ils trouvent une cagoule, ils disent : « ouais, c’est quoi ça ? – Ch’est pour la moto ! », après ils sortent un gilet SNCF, « et ça c’est quoi ? – Ch’travaille à la ch’ncf ! » avec un gros drapeau du Portugal dans le fond. Dans sa chambre, ils trouvent des bombes, de l’acide…

– …avec les caméras et tout ?

– Ouais. Tu l’as pas vue la vidéo ?

– Ils ont pas trouvé des armes aussi ?

– Nan, c’était chez un autre mec, mais c’était des armes de la deuxième guerre mondiale.

– Ca devait être à son grand-père.

: De toute façon, si c’est pas racoleur, ça fait pas d’audience… c’est pour ça que c’est toujours présenté sous un aspect bien manichéen, genre les gentils flics contre les sales délinquants…

TS.HO : Après, oui, en vrai, on est quand même des délinquants au sens de la loi.

– Ouais, j’me revendique pas délinquant, mais aux yeux de la loi, vu qu’on fait quelque chose d’illégal, bah…

– On a pas la même vision des choses non plus…

: Comment vous vous fournissez en matériel ? D’la chour’ ?

TS.HO : Avant on volait nos bombes, mais plus maintenant.

– C’est assez variable maintenant, quand j’ai commencé à graffer au début, j’avoue je volais beaucoup, vraiment beaucoup, maintenant moins…

-… d’jà on gagne notre vie maintenant.

– Ouais, et on a une vie un peu plus structurée, donc on graffe moins tous les jours. Alors que quand c’est tous les jours, forcément ça coûte cher. Maintenant, on est davantage centré sur des actions, donc on part avec une idée de la peinture, qu’il y aura besoin de cette peinture-là et on va l’acheter. On s’finance aussi et y’a des gens qui nous paient nos bombes.

: On peut dire que vous êtes sponso’ ?

 

TS.HO :On peut dire qu’on est sponso’ d’une certaine manière, parce que mettons qu’on aille graffer pour un lycée, le reste des bombes pas utilisées on va les garder. On leur demande un budget et après on garde le surplus de bombes. Donc, derrière on a un stock de bombes qu’on utilise pour nos actions, mais qui vient de plans légaux.

– Après, on fait aussi beaucoup de récup’ sur les pots de peinture par exemple.

– Mais récemment, on a eu plein de plans, donc on commence à en avoir pas mal.

– Donc on les paie pas, mais on les vole pas non plus.

: Sinon ça doit revenir cher à la longue quand même…

TS.HO : Ouais et puis ça te restreint dans les couleurs, etc.

– Bah ouais, moi j’volais pas mal chez Leroy-Merlin pas loin de mon école, y’avait des caisses automatiques, j’passais juste un truc de peinture et j’en piquais cinq autres.

– Quand on paie notre peinture, en général, on met pas plus de 20€…

– C’est pas limité, mais en général c’est qu’on va faire une soirée ensemble et donc on va aller peindre.

– Mais en vrai, y’en a toujours un qui a deux-trois bombes, surtout quand on va sur Paris pour sortir le soir.

– Ca et/ou un marqueur.

: Justement, quand tu… (un membre interrompt)

– Le graff, de base, c’est quand même un certain état d’esprit de free life. Quand on est tous ensemble, qu’on rentre dans un supermarché, on va voler nos bières, un petit truc. En fait, on s’engraine entre nous… On peut dire que c’est un lifestyle.

: A l’image du squat par exemple ?

TS.HO : Ouais, ca fait partie du délire. En fait, tout ce qui est libre et gratuit… Toute chose est bonne à prendre.

– Tant qu’on fait du mal à personne.

– On va pas racketter des gens, mais on va pas se priver de voler, j’sais pas, des bières à l’épicerie ou bien des bombes, de la peinture.

– Un classique quand on fait un apéro, c’est un saucisson. C’était une base, dès qu’on rentrait dans un supermarché, c’était un saucisson.

– Et après on le coupait avec notre carte bleue… Et ça, ça faisait partie du délire.

– Le terme qui définirait aussi bien le groupe que l’état d’esprit comme j’te disais, ça serait freelife.

– Genre l’autre jour, j’ai péta un saumon fumé.

: Donc Toujours Sous Saumon en fait… (Rires)

 

TS.HO : Voilà !

– Par contre, on est pas des voyous, on fait pas chier les gens, on va pas leur voler des trucs, on se dirige plus vers les entreprises, les trucs qui brassent un minimum.

H : Justement, lors de votre dernier festival fin octobre, j’ai vu que y’avait pas mal de trucs à organiser, gérer. Tout ça, ça a dû nécessiter de la maille, vous avez fait comment ?

TS.HO : Pour le squat à Pantin, c’est des potes à nous, un endroit ou y’a déjà eu pas mal de soirées organisées, donc on a passé un arrangement avec eux, ils nous laissaient le lieu et en contrepartie, on leur laissait l’argent du bar. Et avec cet argent-là, eux ont pu payer la scéno’ et les vigiles. Et nous on a payé une partie des vigiles grâce aux entrées libres qu’on a faites. En temps normal, des gens lambdas auraient payé le lieu -3000 à 4000€- et ensuite auraient dû tout faire une fois sur place. Et après, ils récupèrent de l’argent sur l’alcool et sur ce qui va être vendu pendant l’événement. Là, les tatoueurs et les artistes étaient pas payés, la scéno’ et la scène ont été avancés par eux, mais derrière, eux s’y sont retrouvés et même dégagés un bénéfice. Nous, on voulait pas de ça, c’était vraiment fait dans un esprit familial.

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Festival – Octobre 2018

: C’était le tout premier festival ?

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Corporate

TS.HO : Oui le tout premier, mais vu qu’on a déjà organisé quelques expos, on a déjà un peu d’expérience, sur comment faire et travailler ensemble. Mais à l’image et via le graff, on sait qu’on peut travailler ensemble. En sachant que quand on se retrouve sur un graff, on sait que machin fait çi, moi j’fais ça… Et à force de le faire, on s’connaît et donc on sait bosser ensemble.

: On parlait des flics avant, y’a aussi des justiciers dans le civil ?

TS.HO : Ouais, ça arrive qu’on vienne nous casser les couilles…

– Mais moins maintenant, parce que vu qu’on est beaucoup quand on sort, les gens viennent moins nous faire chier, l’effet de groupe joue en notre faveur clairement. Par contre, quand on est deux-trois, ça peut arriver qu’on vienne nous soûler.

– Mais souvent, c’est surtout des gens qui viennent soupirer à côté de nous et te prendre en photo…

-J’me suis déjà fait tapé quand même. On peignait à gare du Nord, on était déchirés, on faisait des fat-caps et y’a un grand renoi en survet’, casque de moto, qui arrive. Homard X pissait contre le mur, le renoi lui a foutu sa tête dans le grillage. Moi, j’étais trop chaud, genre « qu’est-ce qu’y a ?! »… Il m’a mis une grande mandale, j’ai rien compris…

– Ouais, des anecdotes comme ça, y’en a à foison. On peignait avec des gars, on s’est fait entourés, ils ont fait : « maintenant, vous allez payer 300 balles ». Au final, un pote leur a dit qu’il allait retirer, il est jamais revenu.

– Moi, ça m’est arrivé deux fois de me faire choper, notamment par les flics. Là, ces derniers parlent entre eux et finalement, me font : « passe moi ta bombe » et puis, ils m’ont peint les mains. Ils ont aussi repeint ma veste. Et après, ils nous ont dit de nous casser. Ca arrive aussi.

-Y’a aussi une fois où Homard Z demande à un keum si on peut faire son camion et le mec, tellement il avait le seum contre les graffeurs, lui crache dessus direct, alors que son camion était dégueulasse et qu’on aurait pu faire un truc cool. Y’a des gens qui sont vraiment anti-graffiti et ça, c’est une réalité. Mais généralement, on s’en est toujours bien sortis et quand on voit que ça tourne au vinaigre, on fait des téléportations, tu vois. (Rires)

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Paris – Mai 2018

: Donc le mieux pour s’en sortir dans ces cas-là, c’est la ruse, la malice, la tchatche ?

TS.HO : Ouais, au pire tu cours, mais généralement, t’arrives toujours à t’en sortir avec des bonnes paroles et disparaître ensuite.

: Mais à part avant d’aller en soirée, ça vous arrive de graffer sobres ?

TS.HO : Ouais, ça arrive… Sobres, on s’pose plus. Mais, c’est vrai qu’on graffe pas que quand on est ivres, ni quand on est sobres ; souvent c’est crescendo.

– Mais ça se voit sur nos graffs ! A la fin, y’a marqué THSO…

– C’est déjà arrivé !

: Et donc avec la maréchaussée, vous la jouez comment, vous niez systématiquement ? 

TS.HO : Quand t’es pris sur le fait, c’est dur de nier…

– Généralement, on minimise la chose un maximum en fait ; on leur parle correctement. On dit que le truc était déjà taggué, sinon « regardez, à côté, y’a des tags partout… » ou bien qu’on connaît le proprio…

– En vrai, faut nier.

– Les dernières fois que j’me suis fait choper, ils m’ont demandé « c’est quoi TS.HO ? », j’ai dit que c’était le nom d’une meuf genre Tiphaine… Avec un autre membre, on avait dit que c’était Théophile et Olivier…

– … et Henri… (Rires)

– Histoire de passer pour un con.

– J’avoue y’a une fois où j’me suis fait choper, j’ai dit que c’était le jour de mon anniv’, que je voulais essayer de faire un tag, faire le rebelle. J’ai fait le boloss de ouf.

– En vrai, on essaie surtout de faire en sorte qu’ils lisent pas TS.HO.

– Une fois, j’ai vu les keufs arriver, j’ai commencé à recouvrir, genre j’ai fait des spirales, des arabesques…

– Mais c’est vrai que quand c’est pas la section tags, ils s’en battent un peu les couilles.

– Par contre, si tu tagues un mur à la SNCF par exemple, eux, savent très bien qui tu es, même si t’essaies de dire que c’est Théo machin, avec eux, que dalle, ça passe pas.

– Ils arrivent très bien à lire ton graff aussi.

– C’est des mecs qui sont payés pour ça.

– Les mecs s’y connaissent aussi bien que nous en graff, voire mieux. Ca fait vingt ans qu’ils bossent là-dedans. Ils reconnaissent même si tu fais pas ton blaze, ils vont reconnaître par le style. Et ça, ça peut être très douloureux. C’est pour ça qu’il faut toujours changer de style.

– Surtout si tu fais du métro.

– Ca arrive hyper rarement qu’on fasse des trains en France, mais par exemple, on va faire des phases de rappeur, par exemple, « T’es max en Y », on écrit pas TS.HO.

: Entre les flics, vous, les « justiciers », il y a le grand public. Eux réagissent plutôt comment ?

TS.HO : Ca dépend des quartiers.

– Des villes aussi.

– A Paris, t’as des gens qui passent qui vont dire : « c’est moche ce que vous faites ! » ou bien « ah bah bravo… » ou bien « ça sert à quoi ? » Y’a rarement des gens qui s’arrêtent. Mais ca arrive que y’ait des gens qui sont cools, qui te prennent en photo.

– Quand on était plus jeunes, y’avait plus de darons qui s’arrêtaient pour dire « p’tit con, va ! ». Moi j’pense que c’est fifty-fifty. Dans le nord-est de Paris, c’est plus apprécié, sud-ouest, ça va être « p’tit con, t’es un connard, j’appelle les flics ». Mais en vrai, t’as plein de gens qui savent pas si c’est beau ou moche, surtout quand on est en train de le faire.

: Tu penses que les gens manquent de références et donc ça les déstabilise ?

TS.HO : Ouais, clairement. Et peu de gens se penchent vraiment sur le graffiti et son milieu.

– C’est un cercle assez fermé. Et puis t’as plein de gens qui vont te dire aimer le graffiti, le streetart, ils vont voir un truc plein de couleurs, ils vont te dire qu’ils kiffent, alors que pour un graffeur, c’est pas forcément ça qui va primer.

– Ouais, le côté p’tit oiseaux, super bien faits, hyper-réalistes, nous on s’en fout.

– Et puis, quand tu connais pas le graffiti, tu remarques même pas les tags en fait. Avant de faire du graffiti, je remarquais jamais un tag.

– Et je sais que certains de mes potes, quand je leur ai dit « chui TS.HO », certains d’entre eux ont commencé à regarder ce qu’on faisait et c’est qu’après, qu’ils ont capté le délire et c’est après qu’ils ont dit que c’est trop lourd, etc.

– Même notre famille ; des gens qui y connaissaient rien et qui, nous connaissant désormais, se mettent à regarder.

– Je sais qu’une question qu’on me pose souvent, c’est souvent, comment vous faites ?

– Et c’que je réponds en général, « on sait voler, on est forts… » (Rires) « On a des super pouvoirs ». On a l’impression que pour les gens, c’est comme si ça apparaissait là par magie, l’autre jour, j’ai vu un post sur insta, d’un type qui n’avait rien à voir avec le graffiti et qui disait en substance « vous avez déjà vu des graffeurs ? Moi j’ai l’impression que ce sont des êtres qui n’existent pas et que les tags apparaissent subitement… »

– Genre le Mystère…

– Alors que pour nous c’est évident, le type est passé par tel truc pour accéder à tel endroit.

– Eux pensent qu’on sort la nuit, cagoulés, qu’on rase les murs…

– Qu’on a pas de vie en fait.

– Alors que le plus grand graffeur new-yorkais, c’était un avocat…

– T’es sûr c’était pas un anglais plutôt, j’crois j’avais vu l’article sur le net. Un mec qui payait trop pas de mine.

: J’ai vu que vous étiez au taquet sur les vidéos et à contrario, j’me demandais si des bouquins comme Kapital, Subway Art, Spraycan Art, c’était votre came ou pas ?

TS.HO : J’ai rien compris.

– Moi non plus…

: Les bouquins, les bouquins ! Qui sont un peu des références, des classiques quoi…

TS.HO : …genre Descente Interdite… ?

: Ouais, c’est plus récent, mais par exemple…

TS.HO : En vrai, j’pense plus qu’on a plus été influencé par certains magazines comme Xplicit GrafX, Graff’bombz ou bien Graff’it. Mais plus à nos débuts.

– Instagram a remplacé tous ces magazines. Ils sont voués à disparaître d’ailleurs.

– J’pense qu’on a tous été influencés par les magazines pour nos premiers lettrages…

– Perso, ça a été les lettrages que j’ai vu dans les tunnels…

– L’autre jour, je vais au Palais de Tokyo et je vois qu’ils vendent des livres de graffiti. Je jette un œil et ça m’a saoulé, parce que j’veux pas faire l’ancien, mais j’ai quand même quelques années derrière moi, mais ça a pas évolué : c’est toujours les mêmes que tu retrouves dans les magazines, idem pour les bouquins, les mêmes gars, les mêmes graffitis, etc. Quand est-ce que la nouvelle génération va enfin être dans des trucs comme ça ?

: D’où ma question sur Insta et ce rapport à la vidéo, bien différent, parce que vous avez grandi avec ça…

TS.HO : De ouf.

– Nan, c’est vrai que les vidéos sur Youtube, les Montana…

Urban Vampires

– Même sur certaines vidéos, t’as l’impression que c’est les mêmes… Après, les 1UP, ils ont fourni un gros taf… Après eux, y’a eu les KCBR… Mais sinon, si tu regardes des vidéos de graffiti, c’est…

– … bateau.

– Ouais, c’est bateau.

– Mais y’en a qui sont oufs, Grifters par ex. ou bien les Crack&Shine.

– En gros et malheureusement, c’est souvent assez monotone.

– Mais nous ce qu’on fait en ce moment, ou du moins ce qu’on essaie de faire, c’est faire du graffiti à notre sauce ici et maintenant, marquer notre empreinte avec notre définition du graff. Montrer que le graffiti, c’est une famille, des potos et pas forcément des mecs qui rasent les murs la nuit…

– C’est vrai que ce genre de mec, perso, ça me saoûle…

– Après, y’a des anciens, on sent qu’ils défendent leur époque…

– Mais y’en a ptet qui ont cassé ce truc hip-hop qui relevait de l’entraide, de la fraternité… Y’en a qui ont cassé ce truc-là, c’est parti en guerre entre graffeurs, alors que l’esprit hip-hop c’est pas ça, c’est plutôt genre on se rassemble, on rencontre des mecs de Londres, d’ici, d’ailleurs…

– … tu montres ton style à quelqu’un, le type va s’inspirer de ton style…

– Y’en a qui ont cassé ça, genre on des gangsta, y’a des territoires…

– Genre tu m’piques mon plan train, j’te défonce…

– Et nous on essaie de repartir sur ce truc hip-hop à l’ancienne…

– J’avoue, j’ai vu un truc sur Facebook, c’était genre les graffeurs la nuit, ils sont cagoulés, genre on est des oufs et dans la vraie vie, c’est des canards avec leurs meufs… (Rires)

: Pour revenir à votre festival, j’ai justement eu cette impression que finalement c’était pas sectaire, mais bien hip-hop comme vibe… dans l’esprit de la définition que vous donniez plus haut…

TS.HO : Ouais, un rassemblement hip-hop à la sauce 2018, parce que y’avait aussi du son brésilien, de l’électro…

: C’était assez varié finalement… donc finalement assez à l’encontre de ce préjugé du taggeur qui fait que ça dans sa vie…

TS.HO : Mais y’en a comme ça, on peut le retirer, mais c’est une infime partie du graffiti. Certains sont comme ça. Et ça s’voit sur leurs gueules déjà. Et c’est le graffiti qui choque, donc c’est pour ça que les gens retiennent ça.

– Mais pour te prendre un exemple à l’ancienne, les NTM, c’était des mecs qui faisaient du breakdance, du rap, du tag… des gars comme nous en fait…

– Le problème, c’est qu’on va retenir que les mecs trop violents alors que c’est 15% de la scène graffiti.

– Après, on a aussi cet esprit-là de tout niquer, parce que ca fait aussi partie de notre culture, mais avec une ambiance différente.

: Gravure et acide, ce sont des choses auxquelles vous avez touché ou pas ?

TS.HO : J’ai fait un peu de gravure, même été pété pour de la gravure dans le RER, ça a tourné hyper-mal…

– C’est trop violent…

– C’est trop vénère…

– Après, l’acide c’est cool parce que ça reste ad vitam eternam, à moins qu’ils changent la vitre.

– Pour autant, c’est galère de s’en procurer. C’est plus en mode, si t’as un pote avec un marqueur d’acide, là on va le vider dans la soirée, c’est clair, mais…

– L’acide c’est interdit en France, parce que tu peux créer des explosifs avec, du coup tu vas l’acheter à l’étranger…

– La RATP te dit que si tu taggues à l’acide, tu mets en danger les gens parce que tu ronges la vitre et qu’elle risque d’exploser.

– En plus, ça nique les vêtements, les mains, c’est bien hardcore quoi.

 

: Les chromes-noires alors, vous adhérez ?

TS.HO : Bah là, le GT en face, il est là, mais c’est sur que c’est du vu, du re-vu et du surre-vu, mais pour autant…je graffe comme ça, je graffe pas mieux que ça. Vraiment… donc bon… Après, dans l’équipe VAHé sait faire autre chose que ça, alors que moi pas trop…

– (VAHé) Ouais, moi j’aime bien bosser mes lettres, faire du son…

– Ouais, dans TS.HO, y’a un peu de tout, du son, de la peinture…

– Par contre un bon chrome-noir, c’est là où tu vas voir si le gars a du style. T’as pas cette histoire de fioritures, de bullshit, tu peux pas tricher.

– Tu vois direct si le mec est bon ou pas dans le lettrage.

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St-Ouen – Août 2018

: La question bio sans gluten maintenant, pourquoi y’a un espèce de respect des arbres ?

TS.HO : Jamais les arbres parce que… grand respect de la nature. J’suis hyper contre le fait de taper des arbres… la nature, les arbres, les belles pierres… Le but, c’est mettre du beau sur du moche, même si ça peut paraître contradictoire. Moi, j’irai pas graffer un château médiéval à l’ancienne. J’parle pour moi là, mais ptet qu’y’en a certains en vrai…

– Les belles pierres, les belles femmes… tout ce qui est beau, on respecte.

– Que du beau sur du moche.

: Le graffiti vous a ouvert à d’autres pratiques ?

TS.HO : Le son, la peinture…

– Le kamasutra ! (Rires)

– C’est devenu un style de vie en fait, un truc un peu global.

– Pour certains, ça a ouvert des portes de l’art. Grâce au nom TS.HO, y’en a qui ont pu faire des expos, ramener des gens… Pour le festival, on a fait jouer des potes sur scène qui ont fait du rap etc. grâce à la notoriété TS.HO.

– Parce que mine de rien, Paris n’est pas si grand, donc ouais clairement, ça a pu nous ouvrir des portes.

– Sans le graffiti, je sais pas ce que je ferais. Ca a révolutionné ma vie.

– Y’en a pour qui ça a pu niquer leur vie. Des amendes, on s’en est tous pris, mais ça fait partie du truc. Après entre 2000 et 100000€ d’amendes, c’est pas le même délire.

– Le but, c’est pas niquer sa vie. Faut ptet savoir ralentir au bon moment…

– Après, c’est aussi beaucoup de belles rencontres.

: Est-ce que y’a un côté addictif dans le graffiti selon vous ?

TS.HO : Clairement.

– Tu le sais quand tu vois plus ton blaze dans la rue et que tu vois le blaze d’autres personnes. Là, tu te dis c’est pas possible. Surtout quand tu vois tes stores se faire effacer et tu te dis, y’avait mes graffs, ils y sont plus… Par exemple la rue de Belleville, parce qu’un TS.HO y bossait y’a pas longtemps, y’a plus un graff à nous là-bas, ça fait mal au cœur, c’est angoissant, on se sent délogés.

– Ou bien un spot trop défoncé, comme le périph’ en ce moment, tu te dis qu’il va falloir y faire un tour…

– On va dire que si j’ai mal aux dents et j’dois aller chez le dentiste et que le jour même, ça fait longtemps que j’ai pas graffé et que tous mes potes vont graffer, j’annule le dentiste !

– Ouais, le mot drogue, c’est le bon mot.

– La drogue, c’est aussi l’ambiance avec les potos. Parce que quand tu sors avec eux, tu sais à quoi t’attendre… c’est forcément des bons moments…

– Donc tu peux pas redescendre…

– J’connais personne qui a commencé de graffer et qui a arrêté… pas complètement du moins.

– Ou alors tu traînes pas avec nous… (Rires)

– …nan, mais c’est vrai. Si t’as que le graffiti et que t’es tout seul, c’est nul.

– Et puis, même si tu t’arrêtes de graffer, quoi qu’il arrive, tu gardes l’œil sur ce qui s’fait.

– Ca, c’est à vie. Tu vois les petits nouveaux.

– Même si tu vas dans une autre ville, en l’espace d’une aprem’, tu sais qui est le king et tu vas retenir trois, quatre, cinq blazes.

– …qui dirige la ville.

: Dans dix ans, vous vous voyez encore faire du graff ?

 

TS.HO : Dans dix ans, j’me vois encore avec ces affreux loustics donc euh… ça sera p’tet plus du vandale, plus des terrains sûrement parce qu’on aura p’tet des enfants, des situations plus claires…

– … ce sera surtout l’association, des vêtements…

– … y’aura toujours un barbecue tous les trimestres… des merguez…

– …un Noël TS.HO… en mode famille, quoi qu’il arrive.

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Photos personnelles et TS.HO

STRIKO – Graffeur en voyage

 

STRIKO – Graffeur en voyage

 

De passage prolongé à Perth, en Australie Occidentale l’année dernière, quelle ne fut pas ma surprise de tomber sur un tag STRIKO derrière un « liquor store » local bien connu. Il n’en fallait pas plus pour que je contacte le lascar en vadrouille depuis un bout de temps. Bon app’.

Hélaire

Qu’est-ce qui fait que tu te retrouves en Australie ?

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Melbourne – 2016

STRIKO

Je suis parti en Australie en mai 2015, poussé par mon petit frère qui ne me voyait pas heureux dans ma vie. On est partis pour un an, puis on a fait ensuite un an et demi en Asie et un an en Nouvelle-Zélande, tout ça sans arrêter de tagguer, rayer, graffer comme en témoigne mon Instagram… Là, je viens d’arriver en Californie.

H

Combien d’années de graff’ à ton actif ?

S

Ca fait maintenant douze ans que je graffe mais j’ai fait beaucoup de tags et rayures avant ça.

H

Tu peux détailler ton parcours de graffeur ?

S

Je commence avec un poto d’enfance, JUST, qui crée mon premier vrai crew de cœur : ATT. Je commence à faire dans l’abondance en solo ensuite, mais avec aussi différentes phases avec des mecs de mon crew OMS, notamment FRENCH, JUST, 6MIC et d’autres connections à droite et à gauche et qui pour certains sont de vrais potos et très doués au niveau artistique comme SORA, OENT, FEITO, SKEZ, CHOST. Ensuite, j’ai eu ma grosse phase avec AGNO entre 2010 et 2015 pendant laquelle on a fait beaucoup d’autoroutes et voies ferrées à l’échelle. En 2011, je me paie un procès avec 83000€ au-dessus de ma tête avec la RATP et la SNCF comme plaignants. Tout ça se finit bien avec un rejet de la demande des parties civiles car elle était imprécise et infondée. Comme d’hab’, la brigade anti-tag a fait les cow-boys et bâclé l’enquête avec de nombreuses erreurs et entorses à la loi dans les procédures que mon avocat n’a pas manqué de souligner, c’est d’ailleurs lui qui a notamment défendu les BMO.

H

Marrant que tu cites FEITO qui doit être un des mecs qui cartonne le plus à Paris en ce moment…

S

J’ai un peu posé avec lui, il avait 17 ans, j’en avais 27. Du fait qu’on soit du même secteur, il m’a dit que j’étais un des mecs qui l’avait marqué et poussé à marave et qu’il avait été honoré de poser avec moi donc ça fait plais’…

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2014 ligne 7 Châtelet

H

Et justement, toi, qui sont les mecs qui t’ont influencés/ont fait que t’as commencé ? 

S

Les mecs qui m’ont influencé à la base sont tous les mecs de ma partie de la ligne A qui maravent du côté du 92, 95, 78 comme les SEA TSO VIP 101 ABC LSK.

 

H

Ce procès et tes différentes arrestations te freinent ?

S

Elles te calment forcément, mais chasse le naturel… T’es piqué à vie quand tu commences.

 

H

Une préférence pour le tag ?

S

Etant plus un vandale qu’un artiste, j’ai toujours eu un amour du tag et des rayures sans me poser plus de questions que ça, c’est quelque chose qui a fait partie prenante de mon quotidien pendant des années. Quand j’ai véritablement commencé à graffer, je faisais des pâtés et je me disais, ouais le graffiti, c’est pas pour moi en scred. Et j’me souviens de mon poto SCAR qui me disait : « ouais, mais il est là ». Et il avait raison. Vu que j’étais pas doué pour peindre de belles lettres proportionnelles, je me suis mis à faire des gros block et ensuite je suis passé à l’échelle. Et là, j’ai vraiment eu l’impact que je voulais sur ma ligne entre Maisons-Laffitte et Nanterre.

H

STRIKO, pour quelle(s) raison(s) ? Enchainement des lettres, signification ?

S

J’aimais bien les lettres, le sens de strike en anglais et parce que je voulais finir avec un O. J’ai regretté plusieurs fois la longueur du blaze à six lettres, notamment parce que j’étais pas hyper-rapide, mais finalement, j’ai tellement donné de ma personne pour ce blaze que j’ai pas voulu en changer, même si je me suis fait pété avec celui-là. J’ai commencé à être bien plus rapide en 2010 quand j’ai vraiment augmenté la quantité en arrêtant les blocks et quand je suis passé à des pièces plus petites avec un lettrage un peu plus travaillé. C’est devenu mon tampon qui est d’ailleurs toujours d’actualité et dont j’ai du mal à me défaire mais qui est ma marque de fabrique. Je fais partie de ces mecs piqués par le graffiti et qui continueront de poser jusqu’à je ne sais quand car cette vibe intense et tellement addictive n’a pas de prix… STRIKO forever.

H

Concernant ton tampon, t’as du mal à en sortir donc ?

S

J’ai mon tampon que je kiffe et il me représente, donc pas vraiment de recherche calligraphique ; j’me diversifie plus en tag, même si là aussi j’ai mon tampon.

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Photo 2018 vers Clichy/St-Ouen – graff qui date de 2015 environ

H

Etant plus un vandale comme tu me le disais, faire des toiles ; ça doit pas t’attirer ? Ou bien t’as des préférences dans la peinture « traditionnelle » ?

S

J’suis pas un gros producteur de toiles, mais j’en ai faits quelques-unes pour moi, des collab’ ou pour offrir. Je m’amuse pas mal à faire des fonds abstraits, et c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup (l’abstrait ndlr).

H

Revenons-en à l’Australie, où débarques-tu ?

S

Je suis arrivé à Melbourne et c’était défoncé, y’avait de belles places alors je m’y suis mis direct avec marqueurs et bombes, mais pas de connections avec les Aussies. Je posais avec mon reuf, des potos, notamment TONTO SUA de Paris ou ma meuf de l’époque.

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Melbourne – 2016

H

Et Perth alors ?

S

Perth, je bossais pas mal, mais le péage a été costaud, on va dire ; les keufs te traitent comme un criminel alors que c’est que de la peinture finalement. Pour mon seul graff’, le soir de Noël là-bas, je me fais pété et j’me prends 700$ d’amende… Du coup, je suis parti au Vietnam ahah. J’étais avec ma meuf finlandaise à l’époque et après avoir tisé et mangé, on est parti faire un graff, on s’est fait cavalé par les keufs qui eux étaient en caisse et nous ont fait une belle arrestation musclée à l’américaine. Ma meuf était choquée.

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L’unique graff à Perth pas fini

H

Vu que t’abordes les meufs, c’est un bon moyen pour pécho le graffiti ?

S

Les meufs aiment les bad boys et le graff’, donc ouais ça aide.

H

Et comment ça se passe en Asie, vu que tu pars notamment au Vietnam ?

S

En Asie, ils connaissent moins le graffiti que chez nous, ils kiffent les blancs donc c’est plus easy et t’as moins besoin de faire d’illégal, même si tu prends des places de ouf, genre des baraques, des restaurants ou des épiceries locales car les gens kiffent et autorisent assez facilement, surtout au Vietnam et aux Philippines, parce qu’ils connaissent pas vraiment le graffiti alors ils le perçoivent d’un oeil différent. Tu leur demandes avec le smile et ta gueule de blanc et ça marche. C’est plus chaud en Thaïlande et au Laos. Le Japon est déjà bien plus répressif. Le seul graff que j’ai tenté de rentrer en pleine rue à Tokyo a encore fini en cavalcade avec les keufs deux minutes après avoir commencé où j’ai bien sûr réussi à leur mettre. Tant mieux, car j’aurais sûrement fait de la prison juste pour ça tellement ils rigolent pas là-bas. Pour te dire, pour un joint tu peux te faire dénoncer par tes voisins et tu vas en prison ; beaucoup de délation là-bas.

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Aux Philippines

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Au Vietnam

S

Tiens pour illustrer ce que j’te dis, v’là une p’tite histoire: je viens de passer la frontière entre le Vietnam et le Laos en bécane avec mon frère et un poto. Mon pote s’est éclaté en bécane, donc on s’arrête au village le plus proche et par chance il y a un semblant d’ hôpital pour faire recoudre mon pote. Moi pendant ce temps-là, je cherche des sprays et une place. On m’autorise pas bien évidemment, je fais mon graff et une fois terminé la police arrive et me questionne sur la raison et la signification de la peinture. Vu qu’ils ne pigeaient pas qu’il s’agissait juste de mon nom sans message politique, ils me font repeindre, puis m’embarquent au commissariat pour les mêmes questions-réponses. Il faut savoir que c’est un pays dirigé par l’armée, communiste et très conservateur et qu’au nord du Laos, c’est une région pauvre et qu’ils n’ont aucune idée de ce que le graffiti est et donc ils pensent en premier lieu à un message politique. Bref, après encore un p’tit bout de temps au comico et une recherche dans le dictionnaire laossien pour leur montrer la définition du mot art, ils ont compris que j’étais inoffensif et pas une menace pour leur tranquillité et que de toute façon, le graff était repeint. Et ils ont fini par me relâcher en s’excusant.

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La photo en rapport avec l’anecdote ci-dessus

H

Ton petit frère graffe aussi ? D’autres frères et sœurs ? Parisien d’origine ? Tu viens de quel milieu ?

S

Mon petit frère ne graffe pas, mais il m’a parfois accompagné en mission. J’ai aussi un grand frère qui est cuisinier qui me suit et me soutient à fond dans mon art. Je viens d’une famille aisée au départ, puis ça s’est dégradé par la suite. J’ai habité à Gare du Nord jusqu’à mes cinq ans, puis Bezons dans le 95 cinq ans encore et enfin Maisons-Laffitte jusqu’à ce que je parte de France à 28 ans.

H

Qu’est-ce que t’as fait en France à côté du graffiti ?

S

J’ai fait une école de théâtre. J’suis aussi un ancien breaker et donc graffeur et acteur, artiste à part entière somme toute.

H

Donc Hip-hop pur jus ? Un morceau à écouter en particulier?

S

Ouais, gros ancien breaker, donc hip-hop la race bien sûr. Pas un morceau en particulier, mais gros fan du Wu-Tang et C.Sen.

H

Ca fait plus de trois ans que t’es parti désormais, des trucs te manque en France ? La bouffe ?

S

Mes proches me manquent, mais pas trop les Français et la France ahah. Pour ce qui est de la bouffe, j’arrive toujours à me faire des p’tits kifs français, mais je m’adapte bien en général. J’aime la bouffe et j’suis pas difficile.

H

Une anecdote parmi tant d’autres ?

S

Embrouilles et anecdotes nombreuses forcément vu que c’est un art illégal et narcissique. Toujours des missions de ouf pour échapper aux keufs, à la BAC et à la ferro où j’ai dû cavaler de ouf, escalader, sauter, me planquer, ramper pour au final gagner et échapper aux GAV et aux problèmes qui en découlent… comme par exemple, le jour où en rentrant de la fête de la musique avec une bonne équipe en RER bien alcoolisée, on tagguait l’intérieur du train à la bombe et au marqueurs comme des dégénérés. Tous mes potes sortent et je dois descendre à la stat’ d’après… sauf qu’à ma station, la ferro m’attendait. Ils ont vu les bombes et les marqueurs dans mon sac et m’ont mis sur le côté pendant l’examen du wagon avant que le train ne reparte et là, je suis parti en courant sur le quai, puis sur les rails, puis de maisons en résidences par les jardins, tout ça alcoolisé avec la ferro qui me suit en criant et me menaçant pour finalement arriver à les esquiver, j’suis resté planqué jusqu’à ce qu’ils lâchent l’affaire. Une belle victoire. J’étais sportif et acrobate à l’époque, donc easy d’esquiver même si parfois les cavalcades sous alcool et pilon te donne la gerbe.

H

Ce que tu retires de tes années de pratique ?

S

Que des grosses vibes que j’me suis prises avec des gros souvenirs; et comme disait Oscar Wilde, les choses les plus folles sont les choses que l’on ne regrette jamais.

 

Photos perso et Instagram Striko

 

Rien

Rien

Je n’ai rien à mettre sous l’objectif de mon appareil photo, alors plutôt que mettre les trois presque croûtes que j’ai pu voir dans le Western Australia et à Perth, je vous incite vivement à regarder ce que l’on peut peut-être considérer comme le Style Wars brésilien, à savoir l’excellentissime, -des paulistes pour appuyer ou contredire le doc’ d’ailleurs?-,

PIXO

https://vimeo.com/channels/816287/29691112

Bonnes questions de fond comme par exemple le désintérêt pour un graffiti considéré comme uniquement commercial, compèt’ entre pixacao, radicalité au propre comme au figuré des signes, ….

Entretien avec Serge Bondt, coauteur du film STAR

Un matin d’été 2016, dans un café près de Répu’, je rencontre Serge, coauteur du film STAR prévu pour la rentrée. Au programme: urbanité, littérature et gueta.

Bon app’

Hélaire

Dans STAR, le film de Marc-Aurèle Vecchione, tu joues le rôle d’un officier de police. Personne d’autre voulait jouer le rôle du flic ou c’était à ta demande ?

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« Monsieur le Commissaire »

Serge Bondt

En fait, l’énergie du film, ç’a été un peu… à la fois un film entre potes et à la fois un film très sérieux. Et quand s’est présenté le casting, Marc-Aurèle Vecchione a eu envie de fédérer des énergies qui connaissaient cet univers-là. Donc, pour les rôles de tagueurs, ça s’est imposé avec des amis dont on pensait qu’ils pourraient donner quelque chose à l’écran et ça s’est avéré être le cas. Et par contre, pour le personnage du flic, on en parlait et puis il m’a regardé et je lui ai dit : « moi, ça me tente bien » et il m’a dit « pourquoi pas ! » et ça s’est fait un peu comme ça. Je trouvais ça marrant de le faire. La comédie m’a toujours attirée.

H

T’as fait du théâtre ?

SB

Non, disons que dans certaines circonstances, je peux être assez extraverti, faire la fête…

H

Être un guignol ?

SB

Exactement. J’aime bien parfois avoir les feux des projecteurs… pendant une soirée ou un dîner… Je raconte mes conneries, tout ça…

H

Ouais, j’ai vu des photos de concerts où t’avais l’air assez chaud…

SB

C’est ça… Donc, ça s’est fait comme ça, sans trop de réflexion et ça s’est avéré être assez difficile… Après, je suis pas très à même de juger ma performance.

H

T’as coécrit le film donc… Ca s’est déroulé sur une période de combien de temps ?

SB

Quelque chose de l’ordre de deux, trois ans et évidemment on était pas à temps plein dessus. Marc-Aurèle produit des documentaires et web-séries. Moi, à l’époque, j’avais un boulot alimentaire, donc je pouvais pas être dessus à 100%. On travaillait très fréquemment dessus, mais pas à temps plein, ce qui fait que ça a un peu étiré l’écriture…

H

Par mail ou autre ?

SB

Ouais, par mail, on faisait des séances de travail en face-à-face aussi et puis des aller-retours par mail quand on pouvait pas se voir, mais c’était très régulier…

H

Et, ça a été une écriture scène par scène ou y’avait déjà un pitch à l’origine ?

SB

En fait, c’est vraiment un film de Marc-Aurèle Vecchione, donc c’est l’histoire qu’il voulait raconter, ses enjeux, tout ça même si j’y ai mis mon grain de sel après. Initialement, on avait travaillé sur un format court-métrage et puis, c’est devenu un long-métrage parce qu’il avait plein de choses à dire et moi j’avais plein de choses à dire sur les choses qu’il avait à dire… (rires). Donc, ça s’est transformé naturellement, mais la trame, il l’avait déjà travaillée de son côté.

H

Et vous vous connaissiez déjà au départ ?

SB

Marc-Aurèle Vecchione, c’est une légende du graffiti parisien et maintenant figure emblématique des GT. Je connaissais un certain nombre des membres du groupe -soit via le boulot, soit via des ambiances urbaines, nocturnes, festives etc- mais je ne l’avais jamais rencontré lui. C’est un ami producteur, Amaury Ovise de chez Kazak Productions, qui a provoqué la rencontre. Il avait été assez fasciné par le personnage et il voulait un peu l’emmener vers la fiction, ce que voulait déjà faire Marc-Aurèle Vecchione, mais ils avaient besoin de quelqu’un pour l’aider à écrire le scénario. On va dire que Marc-Aurèle, c’est plus quelqu’un qui est à l’aise avec l’image, mais coucher des choses sur le papier, c’est pas son premier truc… même si en se faisant violence il y arrive très bien. Donc, moi, j’arrivais pour l’aider à faire ça et éventuellement dynamiser certaines scènes et ça a bien cliqué tout simplement. On s’est rencontrés. « Ah, tu connais untel, machin. –On va raconter ça. –Oui, bien sûr. C’est ce que j’ai vécu, etc. »

H

Y’a eu une connivence très rapidement ?

SB

Oui.

H

Tu me disais que t’étais parisien pur jus. T’as été influencé par Audiard pour écrire ou tu y as pas du tout pensé ?

SB

Si, si. On va dire que tout ce que j’écris, à la fois pour STAR et ce que j’écris à côté, c’est quelque chose que je revendique comme très urbain, donc très oral et donc avec l’argot, la verve qu’a notre génération et même celle qui arrive… et forcément des gens comme Michel Audiard, ce sont des gens très impressionnants. On parle beaucoup de punchline dans le rap, donc c’était des punchlines avant que le mot soit trouvé. Ce sont des dialogues hyper ciselés, qui faisaient mouche.

A un moment, j’y ai pensé parce que Sari, qui joue donc dans le film, quand il a lu le scénario il disait : « mortel, ce que vous avez fait, c’est Les Valseuses dans le graffiti version 2010 ». Donc, c’était un compliment et une référence à Blier qui m’avait fait plaisir parce qu’on a essayé de retranscrire la verdeur du langage urbain.

H

Donc, t’as toujours aimé écrire ?

SB

Ouais, j’ai toujours aimé écrire, mais j’ai pas toujours été bon, si tant est que je suis bon maintenant (rires). J’ai beaucoup rappé. Moi, ma grande claque littéraire, c’est Voyage au bout de la nuit de Céline, donc ça rejoint Audiard en bien des points. Donc, pendant longtemps, j’ai fait des copier-coller un peu pourris des auteurs que j’admirais.

H

Tu cherchais ton style ?

SB

Ouais, ça a été beaucoup de travail, en tout cas en ce qui concerne la prose. J’ai beaucoup rappé et j’ai trouvé mon style dans le rap assez rapidement, parce que j’en écrivais tout le temps même si c’était pas forcément génial non plus. Donc, ouais l’écriture, c’est très central dans ma vie.

H

Tu signes des articles « Bardamu » pour Yard – le personnage principal de Céline notamment dans Voyage au Bout de la Nuit– un hommage ? C’est le style Céline (points de suspension, mélange d’une langue parlée et littéraire) qui te parle ou ce personnage ? Une raison particulière pour Bardamu ?

SB

C’est plus qu’un hommage. Céline parlait souvent de sa « petite musique » littéraire et c’est quelque chose auquel j’ai été extrêmement sensible. Son style est à la fois poétique, sulfureux, sublime, tout un tas de chose. Son avatar romanesque et l’emblème de sa musicalité, c’est Ferdinand Bardamu, donc au moment de trouver un pseudo, le choix était tout trouvé… J’aime bien la sonorité de Bardamu; c’est marrant, Bardamu, c’est un peu franchouillard et tout, c’est drôle. Par contre, je ne verse évidemment pas dans les thèses antisémites et tout le côté odieux de Céline. Mais pour moi, ce qu’il a créé en termes de style littéraire dans Voyage au bout de la nuit et Mort à Crédit, ça a une résonance incroyable. J’aime aussi son rejet global de la médiocrité humaine. Il nous jette tous aux chiottes et je suis assez d’accord. Il y a parfois quelques moments précieux de grâce, et c’est tout.

H

En tant que parisien pur jus, t’as vécu où ?

SB

De ma naissance au divorce de mes parents, j’étais dans le 2ème arrondissement, vers Opéra.

H

Près du passage Choiseuil alors ? 

(Céline y a passé une partie de son enfance.)

SB

Exactement. De 8 à 18 ans, j’étais avec ma mère à Colonel Fabien. Après, je suis retourné chez mon père pendant plus de 10 ans et depuis, je suis à Arts et Métiers, à côté. Je vais déménager d’ici un petit mois dans le 18ème. Et le 18eme est vraiment un quartier de cœur pour moi, par rapport au graffiti, au sport, au rap… ou même traîner dans les rues. En gros, « mon » Paris, c’est le centre, le nord et l’est. Ce sont des quartiers de cœur, émouvants pour moi. J’ai des souvenirs dans chaque rue. Des meufs, des soirées, du graffiti, tout ce que tu veux.

H

Tu peux nous en dire un peu plus sur ton milieu d’origine et si tu as des frères et sœurs ?

SB

Je suis fils unique. Socialement, tout partait pour le mieux puisque quand mes parents étaient ensemble, mon père gagnait bien sa vie, ma mère aussi. J’étais dans une bourgeoisie parisienne assez classique. Et puis, lorsque mes parents ont divorcé et que j’ai suivi ma mère, elle a chuté sur « l’échelle sociale » avec les années et, j’ai découvert d’autres choses… des choses dures pour elle. Moi, j’avais toujours mon père derrière moi, donc j’étais toujours bien vêtu, je mangeais toujours à ma faim, mais c’était vraiment difficile pour ma mère, et donc pour moi émotionnellement vu que je vivais avec elle. Je dis toujours que je suis un peu à cheval entre les deux en fait, j’ai un bon pied dans un truc très bourgeois et puis j’ai vécu des choses assez dures à travers le parcours de ma mère…

H

Ce qui t’a donné une force ?

SB

Une force et ça a aussi créé des faiblesses parce que c’était pas facile…

H

T’as été où au collège et au lycée ?

SB

Je changeais de collège ou lycée quasiment tous les ans. J’étais pas forcément un élève très turbulent, mais j’ai toujours été un peu une feignasse. Je passais avec 10,1 de moyenne ou 9,1… J’ai commencé dans le public et j’ai fait des collèges privés, parce que mon père pouvait les payer et parce que ma mère voulait que j’y sois. Avec ma mère, j’habitais cité de la grange aux belles à Colonel-Fabien, donc c’est pas le Val-Fourré, mais on n’est pas non plus rue de la Pompe. Au collège, elle voulait pas que j’aille là-bas. Y’avait trop de caillera. Du coup, j’ai eu une scolarité à part de mon quartier, c’était un peu étrange, quelque chose que j’ai un peu mal vécu sur certains aspects. Par rapport aux autres, c’était un truc très bizarre, je me souviens très bien de ce sentiment : je voulais être plus pauvre que je ne l’étais pour être comme les mecs d’en bas. Alors que la chute que vivait ma mère au quotidien était dramatique et certains de mes potes avaient des situations plus enviables en termes de stabilité. Donc, voilà, je me souviens de ces perturbations psychologiques, on va dire.

H

La météo mentale était fluctuante.

SB

Exactement.

H

Tes débuts dans le gueta, comment se sont-ils déroulés ?

SB

En sixième ou en cinquième, et je me souviens que j’écoutais Benny B…

H

B.E.N.N.Y B…

SB

Les gens de ma génération, on a tous cette casserole normalement. Je me souviens très bien d’un pote au collège qui me dit : « qu’est-ce que t’écoutes ? », « -Benny B », il me fait : « mais nan, faut pas écouter ça ». Je fais : « ah ouais ? ». Et il me fait écouter la formule secrète d’Assassin dans Rapattitude. Et là, je me souviens très bien de ce moment, j’étais dans la cour à Chaptal, dans le public, à Rome… Et là, mon visage s’est fracturé, j’ai pas compris ce qui arrivait, j’ai fait : « ouahh, c’est quoi ce truc ? ». Peu de temps après, j’ai acheté Le Monde de Demain qui venait de sortir. Là, la nébuleuse hip-hop -le rap, le djaying, le graff, le break- me tombe dessus et ce mouvement, cette culture me happe complètement et à partir de là, le tag m’a tout de suite attiré. J’ai commencé à taguer comme on commence à taguer, c’est-à-dire très mal, avec des marqueurs de merde et un style de merde.

J’me souviens, j’appelle un pote avec qui je jouais au foot, qui lui tagguait déjà très bien, il s’appelait Kemal, mais son tag, c’était KERNY. Et la première fois, dans le métro, je veux un peu l’impressionner avec mon pauvre style que j’ai un peu pompé dans Paris Tonkar et tout. Et là, je taggue un « 93Nicktamère ». Il me dit que non, je peux pas faire ça, que c’est un groupe, que je peux me faire taper dessus pour ça. J’avais pas du tout les codes, j’te dis ça, on avait 12-13 ans. Et grâce à lui, qui était plus implanté dans le milieu, j’ai fait mes classes avec lui et je suis devenu tagueur, si ce n’est talentueux, au moins respectable, quoi.

H

Une de tes particularités a été de ne faire quasiment que des tags. Ca relève d’un choix personnel, t’étais nul en dessin ? Flemme de bosser tes lettres ?

SB

Ouais, j’étais un peu nul en dessin, j’au toujours eu autour de moi des gens que j’admirais pour ça. La masse de travail qu’il m’aurait fallu pour leur titiller la cheville était trop grande et puis clairement j’avais pas la volonté et j’aimais bien le délire du tag vandale, essayer de faire des gros tags massifs ou un peu calligraphiques, parce que j’aime bien aussi l’aspect beau du tag. Donc, c’est plus ça qui m’a attiré. J’ai dû faire 10 chromes maximum. Je faisais souvent des chromes avec mon pote d’enfance, MIDI des ASG, qui lui avait une technique irréprochable et qui repassait un peu derrière moi pour les contours vu que je dégoulinais trop…

H

Rires

Un outil et/ou une surface de prédilection ?

SB

Plutôt marqueur, la 15, ce côté un peu biseauté, l’effet que ça faisait, j’étais moins à l’aise à la bombe, ce que j’ai aussi fait beaucoup, mais je trouvais que mes tags avaient moins d’impact avec la bombe. Ouais, une belle Corio un peu bordeaux, bien dense et tout, qui coule un peu…

H

Ca te parlait bien ?

SB

Y’avait un côté balafre du système.

H

Et ça tenait pas aussi à un côté un peu plus « noble », où tu touches le support, où ça reste presque plus du ressort de la calligraphie, alors que la bombe, même si des effets sont possibles, ne serait-ce que le mot, il est déjà si connoté négativement… presqu’un outil bâtard…

SB

Nan, je pense que ça a pas mal évolué. Même à l’époque, la bombe était déjà très usitée. C’est juste que moi, j’étais moins à l’aise et puis j’étais très métro aussi. Dans le métro, dans la journée, t’as un peu moins ta bombe, t’as plutôt tes marqueurs. Et les bombes, c’était plutôt aussi la nuit, genre tu sors et tu vas défoncer Paname. J’étais juste plus à l’aise avec le marqueur tout simplement. Mais les premiers tags de ZEUS par exemple, où il faisait un peu la technique du trait proche du mur, puis il relevait la bombe pour faire un effet nébuleux, qu’a continué à faire L’ATLAS ou des gens comme ça. C’était très beau quand c’est arrivé. Tu fais : « ouah, putain, c’est beau, ça tue ». Donc je le faisais un petit peu, mais dans le fond, j’étais plus à l’aise avec un marqueur.

H

Pour les remplir tes 15, t’étais un amateur de recettes de cuisine ?

SB

Oui, j’achetais ou je volais. Je prenais de la Corio à l’époque, ou de la Jet, je la mélangeais avec de l’acétone pour la rendre encore plus indélébile. C’était trois quarts-un quart, pour autant que je me souvienne. Et voilà, ça te faisait un marqueur assez violent quoi. Je me souviens de mélanges faits dans ma baignoire…

H

La baignoire s’en souvient encore ?

SB

Exactement. (rires) Ma mère m’avait grillé et tout. Genre : « mais qu’est-ce qui s’est passé ? –Non, rien. C’est de l’art plastique ! » Bref, n’importe quoi. (rires)

H

Tu t’es retrouvé face au commissaire pour du gueta, comme le héros du film ?

SB

Ouais, ouais. J’ai eu une toute petite condamnation. J’avais 17 ans. C’était il y a 20 ans. (rires) Un petit truc, je m’étais fait serré dans le métro à Porte Dauphine. Et à l’époque, c’était encore relativement clément, y’avait pas encore eu la salve des condamnations de 2001. La RATP m’avait fait payé 1000 francs (environ 150 euros). Et j’avais pété tout un wagon au marqueur et des couloirs aussi. A l’époque, j’avais un peu la folie des grandeurs, je faisais des grosses lettres au-dessus des céramiques, donc y’en avait certainement pour bien plus, mais bon…

C’était minable, t’es dans le bureau d’une juge qui a pas que ça à foutre, l’avocate commis d’office qui voulait s’en débarrasser au plus vite, moi aussi. Enfin bon, c’était un peu nul comme « procès ».

Sinon, j’me souviens d’une fois où on s’était fait serré et où on s’est retrouvé au commissariat qui était rue du Renard, qui n’est plus un commissariat d’ailleurs. Un keuf de la BAC qui me demande ce que je fais dans la vie. J’lui dis que je suis à la fac. Il me dit « quoi comme études ? –Des lettres modernes. » Et il me dit : « pourquoi tu fais des tags si tu fais des lettres modernes ? » C’était hyper marrant cette vision complètement monomaniaque de la vie. Ce qu’on fait, on doit faire que ça… ça m’avait trop stupéfait de connerie. Bah non, on peut faire deux ou trois choses. Tu sais les mecs de la BAC, le tag, ils s’en foutaient. A la limite, ils rigolaient plus avec nous qu’ils nous ont fait chier.

H

Tu me disais que t’avais fait un peu de métro, intérieurs, extérieurs, punitions ?  

SB

De tout, mais j’ai pas fait trop de dépôts. Beaucoup de carrosseries. Ouais, des intérieurs, y’avait pas vraiment de règles, pas de limites quoi. Et c’était tellement addictif, ça devient ton obsession…

H

Donc 1KLINE, c’était pour l’enchainement des lettres, une signification ou autre chose ?

SB

J’étais pas un tagueur avec beaucoup de personnalité, faut être tout à fait honnête. Je suis pas quelqu’un qui a créé son style. J’ai été un plus ou moins bon copiste de plusieurs styles. Certains tags étaient assez beaux, mais j’ai rien inventé. Et il en va de même pour mon nom de tagueur, j’ai eu plusieurs noms, mais 1KLINE, c’est celui que j’ai gardé le plus longtemps. Je l’ai pris à un pote, qui l’avait abandonné. Mon pote, c’était MARS, qui a été WIB après je crois, que je croisais plus du tout, mais je savais qu’il tagguait plus ça donc on s’était pas fâchés du tout et moi, j’aimais bien son tag et la manière dont il le tagguait à l’époque. Et ce que j’aimais bien dans ce tag, c’était la démultiplication des possibilités. Le 1, on peut le faire en chiffre, on peut faire IN, UN. Le K, ça peut être un C. Le L, c’est un L. Après EA, EE, Y, I. et N et ER. 1KLINER. Enfin, on pouvait presque tout faire.

H

Donc, vraiment pour la pluralité des possibilités ?

SB

Oui, un peu. Et puis ça sonnait bien.

H

T’as été l’instigateur de tes crews ou tu t’es greffé sur des crews qui existaient déjà ?

SB

Au début, je me suis greffé sur des groupes qui existaient déjà. J’ai été ACP, c’était un groupe qui avait beaucoup de résonnance sur la 12 à l’ancienne. Ils tagguaient pas très bien et moi non plus. Y’avait TROK qui est le rappeur SIDI O au passage, DTONE, des mecs comme ça, mais c’est très très vieux tout ça. C’était plus un groupe de caillera, que des tagueurs, mais ils cartonnaient bien. Ensuite, les ADK, dans une génération bien antérieure à celle qu’il y a eu après.

Par contre, j’étais vraiment aux débuts des ABC, on s’est connu avant que ça devienne un crew. J’me souviens encore de mon pote KOMPLO qui est vraiment une des figures tutélaires du groupe qui me dit : « faut qu’on trouve un nom de pegrou et tout, machin ». Moi, je raccroche, je commence à plancher sur des trucs… il me rappelle dix minutes plus tard. Je fais : « ouais, attends, j’ai des trucs ». Il me fait : « nan, c’est bon on a trouvé ». Je lui dis : « ah ouais ?! –Ouais, ABC, Au Boulot la Comatec. –Ouaisssss, mortel ». (rires)

J’ai d’autres groupes aussi. LGB (Le Ghetto Blaster) et ASG (All Star Gang). LGB, c’était un groupe qui me préexistait aussi. Y’avait beaucoup de ABC dedans et donc j’ai connu les autres. C’est vraiment des frères, YOUG, SAINT, PERVER, CAZO, LOGY, CRITIC…. On a vraiment cliqué. Et ASG, pareil, y’avait MIDI, WAR, DECK, SERP des gens que je connais depuis toujours qui étaient aussi des ABC et qui ont un peu créé leur truc de leur côté. Avec un penchant un peu plus graphique, ils faisaient beaucoup de terrains, de graffs, ils étaient vraiment très bons là-dedans. Tout ce petit monde est tatoué là.

Serge me montre un tatouage près du cœur.

 H

Tu les as à cœur, au propre comme au figuré.

SB

LGB, ASG, ABC, pour la grosse majorité, c’est des amis qui vont au-delà du gueta.

H

Tu me disais que t’étais fils unique, donc c’est ma transition qui tombe une nouvelle fois à l’eau, mais… est-ce que faire des guetas, c’est bien pour pécho ?

SB

Le graffiti correspond à une période de ma vie où j’étais mauvais séducteur. Je me suis amélioré vers 25 ans et c’était pas trop lié au graffiti. A la limite, comme j’étais dans des groupes plutôt racailleux comme les ABC, c’était plus ça qui pouvait exciter des meufs, tu vois. Des meufs qui voulaient se frotter aux mauvais garçons. Donc, moi, j’ai toujours eu l’intelligence de rester à ma place, j’ai jamais été une grosse caillera. J’ai toujours été dans le groupe et s’il fallait agir, oui, j’étais là. Mais, c’est jamais moi qui commençait la merde ou qui était une figure de proue qui défendait le plus haut les couleurs du truc. Mais quand on bougeait pour des expéditions, j’étais là, tu vois. Donc, l’impact sur les meufs, pas vraiment.

H

Toujours dans la lignée féminine, as-tu connu des meufs qui faisaient de guetas ou des graffs ?

SB

Mmmh, pas vraiment.

H

Parce que j’ai déjà posé la question à droite à gauche et à part FANCIE, j’avais pas eu vraiment…

SB

Ouais, FANCIE, je l’ai connue vite fait, mais j’avais arrêté de tagguer depuis un moment déjà. Assez marrante, je m’étais rasé la barbe avec… son rasoir intime.

H

Ca, c’est de l’anecdote. Rires

SB

Pour le jour de l’an 2006-07. J’ai rencontré AKAZE TPK qui était plutôt dans le groupe en face on va dire, avec 2MOU des YKS, SARI des GT, 2SHY… C’est le meilleur jour de l’an de ma vie je crois, on s’est trop marré. Tous arrachés véner. Je voulais me raser les joues et laisser la barbe en bas. Enfin, faire un truc nul, pour être ridicule et faire la fête. Et évidemment, j’avais pas emmené mon rasoir en Belgique. Et j’lui dis : « toi, t’as un rasoir ? –Ouais, mais c’est pour le maillot. –Bah, vas-y, prête-le moi. –Putain, t’es relou. » Et finalement, elle me l’avait prêté. (rires)

H

Tout à l’heure, tu me disais avoir fait des lettres modernes, t’as fait ça directement après le lycée ?

SB

Ouais… euh non.

H

T’étais à la Sorbonne ?

SB

Non, à Nanterre. Mais avant ça, j’ai fait un semestre de philo’ à Tolbiac, avant lettres modernes. J’ai plutôt kiffé la philo’, mais j’avais du mal à réussir, puis j’ai fait lettres modernes, ce qui était le plus adapté à ce que j’aimais, du coup, ça s’est ressenti dans les notes aussi. Sinon je travaillais l’été, mais pendant l’année scolaire, ça va, mon père me mettait plutôt à l’aise. J’avais pas de voiture ou autre, hein, mais c’était quand même assez salvateur pour pouvoir mener ses études à la cool…

H

…et faire 2-3 tags à côté…

SB

Voilà, et puis pour avoir un peu d’argent de poche pour aller boire des coups ou faire de la merde avec les potes (rires).

H

Et dans les lettres modernes, t’as été jusqu’à où ?

SB

Jusqu’à la licence. Après, j’ai commencé à bosser et rentrer dans la vie active avec des boulots alimentaires dans la vente, le stock ou livraison, mais avec la vague idée que je reviendrai à la maîtrise plus tard, et je l’ai jamais fait. Même encore maintenant, j’y pense, pas spécialement pour valider des diplômes, mais plus par soif de connaissance.

H

Tu te définirais comme quelqu’un de curieux alors ?

SB

Mmmmhhh… Je sais pas parce que… C’est une question que je me pose souvent. En tout cas culturellement oui, je suis assez curieux, j’ai envie d’apprendre. Je suis quand même assez paresseux aussi. Je suis assez velléitaire comme on dit. J’ai des envies que j’accomplis pas forcément, mais j’essaie de mener ma barque autant que faire se peut en produisant des choses, en lisant des choses…

H

Qu’est-ce que tu fais actuellement pour gagner ta vie ? Tu me disais être autoentrepreneur-concepteur-rédacteur… mais concrètement, ça veut dire quoi ?

SB

Ouais, ce sont des mots-valises qui veulent pas dire grand-chose… Depuis trois ans, j’ai arrêté de faire des boulots alimentaires. D’une part, par pur opportunisme parce que j’en pouvais plus, et que je voulais toucher le chômage pendant deux ans. Là, depuis un an, du fait de décès dans ma famille, j’ai touché un peu d’argent, ce qui m’a permis de rester à flots et vivre à la cool jusqu’à l’heure où on parle. Faudra vraisemblablement, que je remette les mains dans le cambouis pour avoir des rémunérations plus fréquentes… Parce que ce que je génére dans mon activité d’autoentrepreneur-concepteur-rédacteur, ce ne sont pas des sommes extravagantes qui permettent de vivre au jour le jour. Je désespère pas du tout d’y arriver un moment ou un autre, parce que j’ai quand même fait certains trucs, mais ça reste embryonnaire pour l’instant.

H

Ca sera amener à se développer alors !

SB

Si Luc Besson se positionne sur STAR et fait une co-prod’, tu vois…

H

Vas-y, tonton Luc…

SB

J’ai d’autres projets avec Marc-Aurèle, on va continuer et on verra bien.

H

J’ai vu des photos avec Blancho… C’est quoi Blancho ?

SB

L’idée de Blancho, en gros, c’était de se structurer un minimum, juste pour pouvoir faire des soirées à droite à gauche, sans grosses ambitions lucratives, juste pour faire la fête, pour pas payer notre alcool et faire des bonnes soirées, quoi ! Et on a plutôt réussi sur quelques soirées, c’est un peu à plat en ce moment, mais ça renaîtra peut-être dans quelques temps, je sais pas. En tout cas, on se voit toujours tous et c’est cool.

H

Tu te souviens de l’arrivée de l’acide et des premières gravures, des stickers ?

SB

Ouais, j’ai fait un peu de stickers, un tout petit peu. C’est arrivé en plein quand j’étais dedans, c’était assez cool parce que tu pouvais tenter des styles à tête reposée. Par contre, l’acide et les rayures, j’ai jamais fait. Quoique les rayures, si.

H

Jamais trop adhéré ?

SB

Si, si. Quand je voyais un mec qui avait niqué une vitre jusqu’au plus profond de son ADN et que la vitre, faut juste la remplacer, tu peux rien faire, c’était fort.

H

Tout à l’heure, tu parlais du côté addictif, qu’est-ce qui t’as fait arrêter le gueta et est-ce que ç’a été dur ?

SB

Non, ça s’est fait assez naturellement parce qu’au milieu de ma période graffiti, je me suis vraiment dirigé vers le rap, qui est une passion plus forte que le graffiti et le rap a donc pris de plus en plus de place et le graffiti de moins en moins. Y’a eu une passation de pouvoir comme ça assez simple et puis comme je te le disais, j’étais pas un tagueur de beaucoup d’envergure et puis, en 2001, quand les mecs se sont faits serrés, c’était un peu chaud. Moi, j’avais pas les couilles grosses comme aç par rapport au graffiti. J’me souviens plus trop si ça a joué, mais simplement, mon attention s’est déportée sur le rap. Et pourtant là, j’ai 37 ans, ça fait un bon dix piges que j’ai arrêté, voire un peu plus, mais je taggue encore sur des feuilles… vu que je traîne avec des gars qui tagguent encore, de temps en temps, je prends leur bombe, voilà, c’est assez rare, mais c’est marrant.

H

Tu parlais d’addiction, il fallait que tous les jours t’ailles gueta ?

SB

Ouais, ouais… de quinze à vingt ans, je te dirais. Toute ma vie, je pense que je serai dans une crise identitaire. J’aime bien le doute, au sens philosophique du terme, donc ça me gêne pas spécialement. Mais ado, j’étais vraiment quelqu’un de particulier, de solitaire, y’avait les problèmes dont je te parlais avec ma mère qui me rendait un peu névrosé. Et donc, le foot, le basket et le graffiti étaient vraiment des exutoires. Donc, avec mes potes de l’époque, les KERNY, etc. et puis plus tard les ABC, on pouvait passer des journées dans le métro. Il pouvait faire 30 degrés dehors, super-beau, machin, on s’en battait les couilles, on voulait niquer du tromé et du couloir, etc. J’me souviens très précisément de l’impression d’addiction que j’avais. On s’appelait, on pensait qu’à ça. C’était vraiment un truc central dans ma vie…

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LORCK- KOMPLO et 1KLINE

H

Obsessionnel ?

SB

Ouais, complètement. Tu penses qu’à ça. Tu sais, quand tu prends les transports, tu regardes par la vitre, tu vois ce qui a été fait de nouveau ou les trucs anciens que t’aimes bien. Tu regardes les tunnels. Ca fait plus de dix ans que j’ai arrêté, mais j’ai encore ces réflexes. C’est comme une seconde nature. Tous les taggueurs savent très bien de quoi je parle. Je regarde toujours dans la rue les nouveaux trucs.

H

Le radar est donc toujours actif ?

SB

Complètement.

H

T’as déjà vécu ailleurs qu’à Paris ?

SB

Non, j’ai jamais vécu ailleurs.

H

T’es donc éminemment attaché à Paris, je suppose ? Est-ce que t’as cette relation d’amour et de haine envers Paris comme certaines personnes, une ville qui est soûlante par bien des aspects et en même temps la plus belle du monde ?

SB

J’ai tellement une… il hésite… affection, infection, tu vois c’est pas loin. Une affection intime pour Paris, je la prends comme elle est. Je suis très conscient de ses défauts, du parisianisme qu’on nous reproche, tu vois, j’ai pensé à ça quand tout à l’heure tu me demandais si j’étais curieux, parce que les parisiens sont pas forcément hyper-curieux les uns des autres. On reste un peu dans notre truc de consanguins, les taggueurs entre eux, les branchés de la nuit… Même si ces frontières sont devenues de plus en plus poreuses avec le temps et c’est plus cool aujourd’hui. Mais à l’époque, dans les années 90, fallait choisir ton camp, t’étais une caillera, éventuellement un taggueur, ou t’étais un danseur, ou t’étais un rappeur ou t’étais un bouffon, enfin tu vois… Et, y’avait des espèces de luttes, des bastons de regards, un potentiel de test permanent tu vois, qui s’est beaucoup amoindri. Et c’est tant mieux. Mais pour en revenir à Paris, la ville a tellement infusé mon tissu créatif, ma personnalité… je suis indéfectiblement lié à cette ville. Ses défauts sont en moi et je les combats…

H

Les hipsters ?

SB

Je suis un hipster, un bobo. C’est très parisien. Mais… Paris… forever. (rires)

H

T’as été touché par les attentats ?

SB

Evidemment, deux attentats dans l’est parisien, dans des rues que je connais bien. Le Bataclan, deux-trois semaines avant, j’y suis pour Mobb Deep. C’est une réflexion qu’on s’est faite avec des potes, si c’avait été un concert hip-hop… Je sais plus combien y’a eu de morts au Bataclan, 150 ?

H

J’ai plus le chiffre exact…

En réalité, 90 victimes.

 SB

Admettons 150. Dans un concert hip-hop j’en aurais connu 100. Et certains d’entre eux auraient été des amis très proches. Impossible de ne pas être touché, c’est des gens que tu croises au quotidien. Y’a eu l’aphorisme « on nous a attaqués, nous », le peuple entre guillemets. Et c’est vrai qu’on peut le ressentir comme ça parce que c’est un peu un lifestyle parisien qui a été ciblé ce jour-là. Charlie Hebdo, c’est une action-réaction horrible, injustifiée et injustifiable. Mais on pouvait quand même y trouver une certaine logique… démente, mais une logique. Là, c’est encore plus gratuit, les mecs ont tiré presque au hasard, ils ont tué des musulmans, même pour Charlie Hebdo, ils ont buté un keuf, c’était un musulman. Tu peux que constater à la fois la folie du truc et pour autant, il faut pas trop mettre le mot « fou » en avant et analyser un peu ce qui se passe et ce qui pousse ces gens-là à faire ça. J’ai jamais trop aimé quand on a dit : « ouais, c’est des désaxés, machin… » Bah, nan, les frères Kouachi habitaient rue d’Aubervilliers dans une cité. Dans un documentaire, on le voit rapper au début des années 2000. C’est clairement le moment où je rappais et où j’ai connu ces ambiances-là. L’ADN de ce mec, je l’ai un peu en moi et j’en ai croisé treize à la douzaine. Faut clairement pas mettre une étiquette définitive en parlant de folie… enfin on a un peu dévié…

H

Lorsque tu écris, t’es toujours sur un clavier désormais ou bien il t’arrive encore de tenir un stylo-bille ?

SB

Je ne doute pas des vertus d’écrire à la main, je crois que Jean d’Ormesson le fait encore (rires)… J’ai une très mauvaise écriture, calligraphiquement parlant. Je n’aime pas trop mon écriture et même mon geste d’écriture est pas super fluide et je peux vite fatiguer en écrivant à la main, donc je l’ai fait à une époque parce que j’avais pas d’écran d’ordi’, mais maintenant, c’est clairement qu’en traitement de texte. C’est plus simple pour reprendre. Et je travaille beaucoup mon texte, je le reprends dans tous les sens, donc… C’est très très raturé, à la main, c’est l’enfer.

H

T’écris encore pour Yard ?

SB

Ouais, à chaque fois que y’a une publication papier de Yard -Yard Paper- je suis dedans, la dernière page avec des illustrations de mon gars, Lazy YOUG. YOUG de LGB, frère d’armes, s’il en est. Et donc, là, y’aura un Yard Paper en septembre et vraisemblablement je serai dedans une nouvelle fois.

H

Rétrospectivement, ces dix années de pratique du gueta, qu’en retires-tu ?

SB

Je sais pas trop ce qui t’amène au graffiti. Un peu l’oisiveté, un peu les moments difficiles de ta vie, comme j’te disais. T’as un peu besoin d’une catharsis comme une autre. Et comme disait Léa Seydoux, c’est un peu l’école de la vie (rires). Et ce que j’en retire, c’est vraiment la substantifique moelle de l’amitié, d’un lifestyle hyper-urbain, vraiment mortel, où t’es toujours un peu sur le qui-vive, sur la brèche. Tu vas provoquer les choses. D’être toujours sur la console ou sur un court de tennis avec un prof, c’est très cadré. Quand tu traînes dans la rue, une bière à la main, et que tu taggues, y’a comme une accélération de la vie et tout un tas d’émotions. Et des gens que j’ai rencontrés dans ce cadre-là sont encore des amis de vingt ans, donc ça va au-delà du gueta au sens strict. Les ABC, les LGB et ASG… j’ai un peu joui du rayonnement des groupes. Mais c’est marrant comment les gens qui n’ont pas vécu ça sont complètement étrangers à ce phénomène d’addiction, ils arrivent pas à appréhender le phénomène. Et puis, c’est cool d’être fâché avec les rombières, avec tout les cerveaux immobiles qu’il peut y avoir dans une ville, les gens qui encaissent pas tous les nouveaux trucs, tous les trucs de jeunes. Comme nous on encaissera peut-être pas certains trucs dans vingt ans. Y’a un truc très primaire d’homme de Cro-Magnon dans le graffiti de marquer un endroit de sa présence. C’est quand même assez fort. A 11h du soir, tu fais un gros gueta sur une devanture, il reste deux semaines et quand les gens passent, les initiés : « ah, il était là ! ». C’est quand même assez fou ! (rires) On se rend pas compte de la puissance de ce truc. Si en plus, t’as bien taggué et tout, de la couleur ou autre… y’a plein de paramètres en ligne de compte qui vont faire de ce truc qui apparaît comme une trainée de pisse pour n’importe quelle connasse qui capte rien… ou connard, je sais pas pourquoi je suis sexiste. Tout d’un coup, ça devient une espèce d’œuvre d’art pour ceux qui savent.

http://www.nodistrict.com/bardamu-x-molly/

Un des articles de Bardamu aka Serge sur le web.

H

Un souvenir marquant ?

SB

Je me souviens que SAKA, une figure de proue des ABC, avait souvent un sabre sur lui en cas d’embrouilles. Et c’était marrant parce que c’était l’époque des joggins coste-La ou Tacchini et donc, il l’avait un peu derrière, coincé dans l’élastique du bas de jogging, mais du coup, ça dépassait de ouf de sa veste de jogging. A la base, t’avais déjà pas envie de le faire chier, mais en plus il avait parfois le sabre qui dépassait. Quand je repense à ça, ça me fait marrer… (rires).

Sinon, une autre fois, c’est assez vieux ça. On était à St-Georges, on avait fait un saut de rail. A St-Georges, y’a des arches qui ont été fermées par des grilles depuis, mais avant, tu pouvais sauter, en faire un, puis niquer l’autre de l’autre côté en restant dans les arches qui sont entre les deux voies. Et, donc on avait fait un saut de rail, on devait être vingt. Bam. On pète le truc. Les quelques personnes sur le quai qui hallucinaient et y’a un mec qui vient nous voir, on est vingt autour de lui, tout excités par ce qu’on venait de faire en équipe et tout… « Ouais, je suis journaliste, ça m’intéresse ! » Il nous avait donné sa carte. « Ouais, je veux faire un article sur vous », puis le truc du taggueur, c’est d’être renommé, peu importe la manière. C’est encore mieux si ça pète dans l’actualité, comme ont pu faire les anciens avec la station Louvre (lien). Donc, j’me souviens de ce moment à vingt autour du journaliste. Ça s’est jamais fait mais c’était marrant. Maintenant y’a eu une certaine normalisation du graffiti, le « street art » est apparu mais à l’époque c’était encore bien raw and uncut. Le film parle de ça aussi.

Sinon, un moment assez triste pour nous. Y’avait SAINT et YOUG qui étaient allés sur la Petite Ceinture vers porte de Clignancourt et SAINT, qui portait une bague, est tombé en escaladant la grille, et son annulaire s’est coincé dans un pic avec la bague. Le doigt a sauté à partir de la première phalange. La peau et les deux dernières phalanges se sont enlevées comme un étui. YOUG a pris le doigt resté sur le pic et ils sont partis à l’hôpital Bichat qui est juste à côté. Ils avaient essayé de le lui recoudre, mais ça a pas marché. Donc, mon pote SAINT, il lui manque un doigt à la main gauche ou droite, à cause de cabrioles de taggueur. Il a pas perdu la vie ou un bras, mais c’est quand même sale. Je fais donc un vibrant hommage à son doigt et à la PC qui aura fait quelques victimes. (rires)

La douceur du 15 août

Le 6.03.2012. Il y a des graffitis qui, comme celui-ci, survivent au temps. Envers et contre tout. Le buff, les intempéries et les gens qui rasent les murs. Non, il ne salira pas votre veste si vous vous adossez à ce mur, mais à l’instar de la farine, un souffle et s’envolera. Et vous emporterez un peu de la scène parisienne.

 

Ce graffiti, il m’a fallu plus de quatre ans pour le prendre en photo, il n’est plus aussi net qu’à ses débuts et presque invisible désormais à vrai dire. Il n’avait rien pour lui et pourtant, sa durée de vie a été bien supérieure à tout ce que compte Paris en matière de tags et graffitis classiques dans la rue. Et pourtant la craie vainquit l’encre à plate couture cette fois-là.

 

Il est de ces graffitis à côté de chez soi, où l’on se dit qu’on le prendra demain en photo, qu’il sera toujours là quoi qu’il arrive, qu’on a le temps et qui vous échappe, parce qu’on a autre chose à faire, on est pressé, la lumière est mauvaise, tout prétexte est bon pour remettre la prise de vue à plus tard.

 

Ce jour-là, j’ai rouvert l’œil de mon appareil photo.

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Helaire et sa suite

https://6celair.wordpress.com/  se décline sur la page Facebook Hélaire où vous trouverez des photos récentes et moins récentes.

La scène parisienne se retrouve toujours ici:

2011-12

http://helaire.blogspot.fr/ 

,

2012-13

https://helaire.wordpress.com/

et

2013-14

https://h3lair.wordpress.com/

Rennes:

2014

https://helairen.wordpress.com/

Philadelphie:

2014-15

https://philadeler5.wordpress.com/

Une nouvelle mouture se prépare sur une scène au-delà de l’Equateur…

Peace

Hélaire